12.29.2024

Je NOUS aime "Le maraîcher de Madame Geoffrin*"



Deux spectacles offerts à la sensation d'exaspération permanente qui occupe le terrain de force : le cadeau de l'hebdomadaire Marianne pour le Nouvel an intitulé : les cents qui font l'opinion et, plus ancienne et "chopée" par hasard et par curiosité, l'écoute attentive d'un court épisode de Hanouna où les chroniqueurs s'expriment sur la personnalité de Dupont Moretti.

Et c'est donc avec l'équivalent plus policé d'une mise aux fers que s'impose cette certitude de notre aliénation par les "commentateurs" de ce qui est sensé être la vie publique. Mais pour un public sans vie.
Ceux qui sont supposés " faire l'opinion" sont tous des Parisiens, et quasiment tous des journalistes, chroniqueurs ou éditeurs, quelques hommes politiques et un ou deux artistes, Kamoura entre autres où évidemment quelle surprise, ceux qui ne sont pas partie prenante du Grand progressisme sont étiquetés : réac.
Dans l'autre pièce s'agitent des individus qui ont tous à cracher sur Dupont Moretti, maintenant promu au rang d'amuseur public officiel grâce à son spectacle et à les écouter, quoi d'autre qu'une sorte de désagréable vertige vous prend : le "débat" si tant est qu'on puisse encore qualifier ainsi ces propos est terriblement, horriblement indigent et tourne comme tout propos depuis pas mal de temps, autour de "J'aime, je hais" la personne qui a dit cela, m'a téléphoné pour, aurait dû, ne s'est pas, autrement dit le plus ragoteur de tous les rassemblements parisiens des praticiens de la com. élitistes mis sur la table de l'audiovisuel comme plat unique.
Des individus dont on ignore tout de leur expertise ou de leurs recherches, tous parlant fort, tous arrogants, s'évoquant à longueur de temps les uns les autres, se haïssant, se remplaçant, se promouvant, se dédaignant, s'insultant, déjeunant ensemble, se rencardant dans une fébrilité solidement arrimée aux rails, tout ça dans une sorte de cloaque intellectuellement déficient qui fait office de spectacle éducatif 24/7 pour ... l'OPINION.
Et c'est ça, voyez-vous auquel nous sommes, nous les anonymes, réduits, par quoi nous sommes, nous les anonymes, écrasés et effacés : réduits à être une "opinion", c'est à dire une sorte d'éponge molle qui absorberait indifféremment et sans préalable, ce que ces élus du succès audimatique lui déversent dans la gorge, eux, ces anonymes réduits à un total silence ou au jet de quelques fiantes sur les voies publiques pour exprimer leur malaise.
On peut toujours taper de nos petits poings sur la table, cliquer en veux-tu en voilà, on peut toujours faire semblant de croire que ce qu'on pense est à nous, que nos banderolles, nos foulards, nos slogans sont les signes de la validité de notre conscience et de nos choix poltique, on peut toujours avoir le sentiment de faire acte de justice en glissant notre petit bulletin dans la boite, ce mépris absolu de toute cette cohorte de sachants béotiens, de grandes bouches ayant fait leur trou dans la couche d'ozone médiatique est et reste le SEUL vrai cancer de la "démocratie" qui n'a jamais existé, soyons lucides, en dehors des livres.
L'image renvoyée du populot, du "petit blanc" comme l'appelle avec pitié et condescendance Lordon, de l'opinion, se fait et se défait en fonction de ce qu'on lui déverse comme fadaises pseudo-polémiques dans le gosier. Toujours réceptacle, toujours passive.
Ces gens-là, devenus l'élite médiatico-politique qui s'accroche désespérément au rocher de l'audimat vibre du matin au soir des secousses du scoop, des frétillements du traumatisme, des overdoses de superlatifs et des états d'âmes justiciers tentant d'appâter l'indolence consumériste et anthropophage des masses usagères.
Ils ont pu en quelques décennies se revendiquer de complètement obnubiler les cerveaux, sur le modèle accepté sans broncher ou presque du couple miroir de l'"influenceur" ou du "follower", rien entre les deux, ils ont dû avant tout, par pure indigeance ou par démagogie simplifier , simplifier tant que la citation de quelques ouvrages par Zemmour a pu le faire passer pour un intellectuel, ils ont pu réduire à néant toute idée que ceux auxquels ils sont sensés s'adresser ne sont pas des enfants et dans le même mouvement ne sont pas que des planches à se faire découper sans jamais vraiment demander ou même penser devoir demander de comptes.
Ce glissement vers le néant de l'intelligence et de l'analyse, cette sorte de simplification du complexe imposée afin de convenir aux esprits étriqués et sous-alimentés des masses s'est opéré dans un aller et retour entre l'offre et la demande qui a progressivement induit puis éliminé la demande en ne la concevant plus qu'en terme quantitatif d'audimat puis, plus récemment en terme de masse urgemment éducable à éclairer.
Le niveau délétère des discussions quotidiennes dans ces sphères, les polémiques, scandales incessants là pour stimuler les libidos anémiées du public, les partisaneries enkystées dans des dénominations et des démonisations archaïques, les querelles de clocher, de plateaux et de prérogatives sont devenus les SEULES PAROLES POLITIQUES, c'est à dire un filet étouffant d'échanges ne se déroulant sur le modèle gentil.méchant que dans un cercle étroit autour duquel tourne une "France périphérique" désespérément muette et frôlant l'ulcère ou condamnée à ne s'exprimer que dans des spasmes idolâtres sur les réseaux sociaux.
"France périphérique" obstinément recluse à se faire prendre pour ce qu'elle n'est pas puisqu'elle n'est plus rien.
"France périphérique" qui n'a, au fond, jamais vraiment pris la parole, sauf à se faire déchiqueter dans les diverses tranchées qu'on lui a demandé d'occuper au cours de l'histoire ou à devenir un mythe que l'intelligentsia parisienne a largement fagocité, mythe cause et moyen d'une révolution prochaine sous les atours d'un prolétariat rédempteur qui a nourri ces mêmes intellectuels de la fin du siècle et leurs travaux qu'elle n'a jamais lu ni considéré comme la représentant en rien.
Nous pouvons imaginer que les "changements" se doivent d'être politiques, c'est une erreur et le fruit avarié de la seule pensée qui s'impose sans jamais trouver à se faire contredire ou surtout, évacuer.
Ces changements, ils sont avant tout dans la capacité de cet anonymat réduit à n'être qu'une opinion, dont toute cette élite consanguine se nourrit comme les sangsues de toute forme de créativité et qui croit que son pouvoir réside dans l'alternative "amoureuse" qui lui a été fourrée dans l'anus par l'idée que dire "j'aime" pouvait lui permettre d'exister et que ces représentants qu'elle se laisse donner sont réellement un choix qui dirait quelque chose sur autre chose que la température de ses émotions.
Grandir, grandir, porter la parole à un niveau de présence, autre que le cri et que l'insulte, ce qu'on a pu voir, un peu, avec les Gilets jaunes, alors que d'une part la première des geôles dans lesquelles ils se sont fait enfermer a été d'immédiatement se laisser choisir des "héros", devenant aussitôt personnages médiatiques, des "porte-paroles" d'une parole qui n'avait pas eu le temps d'éclore, même si, ensuite, on a aussi vu comment la maladresse, l'absence de confiance, de certitude du bon droit langagier, l'éloignement générationnel et sociogéographique des lieux du pouvoir, qui présidaient aux premières interventions sont devenus avec la pratique et le temps plus cohérents et plus audibles.
Les membres du Parti communiste, sa base, avaient l'obligation de se "former" au discours du Parti. Il va de soi que les représentants des divers partis actuellement en scène ont, eux-aussi l'obligation d'ingurgiter de la rhétorique pour la recracher mot pour mot sur les plateaux.
Mais comment concevoir quelque chose d'un discours qui se crée et qui s'enrichisse lorsque celui qui l'émet est réduit et se réduit à être simple vecteur d'une "opinion" affirmée par un autre supposé avoir les clefs qu'il n'a pas ?

* Madame Geoffrin était l'une des grandes mondaines parisiennes du XVIIième siècle qui attirait l'élite culturelle et artistique et accueillait les penseurs en vue avant la révolution, la fréquentation de ces nombreux salons, plus ou moins cotés a été un des élements concurrençant les critères de la Cour. " Le monde des salons" Sociablité et mondanité à Paris au XVIIIième siècle Antoine Lilti Fayard



In memoriam