12.03.2024

Petit conte amiénois Dix-septième partie




Décembre 2024
"Mais enfin ma tutrice, qu'est-ce qui t'a pris ?"
L'hexagone était en ébullition, tout l'hexagone, sud, est etc...
Des bruits avaient couru, des paroles, des trucs fâcheux avaient fuité et ce n'était vraiment pas le moment !
"Ma tutrice, tu sais combien certains autour de nous sont dans l'attente du moindre écart, du moindre impair que toi ou moi pourrions commettre, tu sais que le niveau de leur corruption, de leur ingratitude, de leur lâcheté, de leur goût de l'élitisme centralisé est encore plus élevé que le nôtre !!!
Jamais je ne t'aurais crue si naïve, jamais je n'aurais pensé que tu t'imaginais avoir au Palais des amis ou des proches ou des appuis ou des confidents, voyons ma tutrice, tu as pourtant une grande expérience, mais enfin, ma tutrice, qu'est-ce qui t'a pris ?"
La tutrice le regardait, immobile, n'était-il pas le spécialiste incontesté des bévues ? N'avait-elle pas, elle aussi, après ces années d'une conduite irréprochable, droit à une petite erreur, un petit aveu plutôt, produit sous l'effet des pressions énormes qu'elle subissait quotidiennement. Ne pouvait-elle pas, elle aussi, avoir droit à l'expression d'un peu d'amertume, de ranceur, de déception face à la quantité incommensurable de don de soi qu'elle avait su mettre à la disposition du génie de son époux ?
Ce matin, après avoir eu quelques échos du foutoir qu'une nouvelle fois imposait la France périphérique, elle avait décidé de frapper fort afin de calmer un peu les grondements de rage qui provenaient de toute la province et des territoires d'Outre-mer, elle avait choisi dans sa garde robe un tailleur bleu paon, presque en harmonie avec les iris du petit Emmanuel et en portait la veste sur un chemisier à jabot d'un blanc immaculé.
Ça devrait leur suffire pour les calmer.
Elle proposa au petit Emmanuel de faire un scrabble afin de détourner son attention et entreprit de lui dispenser un cours de philosophie politique afin qu'il relativise un peu.
"Tu sais, lui dit-elle, tu sais certainement que même ce grand unificateur qu'était Adolf Hitler a fini par haïr le peuple allemand lorsque celui-ci s'est affaissé, tu sais qu'il a regretté de ne pas avoir organisé la révolution nationale socialiste avec les Russes ! Tu t'en souviens ? Et Napoléon, Napoléon lui-même à qui ses soldats donnaient tout sans compter, n'était-il pas rentré seul à Paris lors du désastre contre Koutousov ? N'avait-il pas laissé, abandonné des milliers d'hommes, des milliers de chevaux dans la froidure, sans vivres, à geler sur place comme des chiens ?
Et Obama, tu te souviens de ce grand homme d'origine plutôt africaine, pense à Obama qui était persuadé que la plébe yankee était trop abrutie pour comprendre les finesses et les complexités de son projet politique ?
Pas un chef d'état, pas un tyran, pas un dictateur ne respecte son peuple, à l'extrême rigueur, il peut éprouver un peu de tendresse pour l'idée vague de son pays, de sa nation ou de je ne sais quelle entité extensible qu'il incarne dès qu'il se retrouve promu en hauts lieux, mais pour les gens ? Les vrais gens, que dalle !
Quel homme de pouvoir n'a pas eu le sentiment de guider des ignares, des réactionnaires, des bas du front, des bouzeux ? Il n'y a pas des cons qu'en Haïti voyons !
Et mon Manu, (c'est ainsi qu'elle l'appelait à voix basse lorsqu'elle tentait de l'éclairer sur un point délicat !) mon Manu, tous tes prédécesseurs ont, à un moment ou un autre, craché dans la soupe qu'ingurgitait leur animal domestique, tous !
Les sans-dents, les veaux, toi-même, rappelle-toi, n'as-tu pas désigné ce populot joueur d'accordéon comme un Gaulois réfractaire ?
Tes opposants, crois-tu qu'ils se privent d'un mépris complet pour ceux qui les élisent et bien-sûr pour les autres ? Pense au petit homme gauchisant atrabilaire, pense à ce qu'il peut dire souvent comme horreurs sur ses compatriotes ? Il va chercher l'inspiration en Amérique du sud où il pense trouver des électeurs à son pied !
Le pouvoir mon Manu, c'est inévitablement, à un moment ou à un autre, la prise de conscience du ras les pâquerettes du populo !
Face à un type grandiose comme toi, comment veux-tu qu'il ne développe pas de la rancoeur, de la jalousie ?
Le petit Emmanuel rougit légèrement, comme toujours presque envouté par ces paroles qui sonnaient tels des chants de l'église copte à ses oreilles.
Sa tutrice en connaissait un rayon sur toutes ces choses des arcanes et des coulisses de la grande machine à fourvoyer qui, il l'avouait, lui échappaient parfois.
"Ma tutrice, j'ai absolument fait tout ce qui était en mon pouvoir pour les mener en bateau, tu le sais n'est-ce pas ?
Je suis un trésor de décisions novatrices catastrophiques, une réserve presque inépuisable d'initiatives inappopriées, de l'art, de l'art pur, Catalan peut bien aller se rhabiller avec son adhésif grisâtre et ses bananes, j'incarne l'abstraction totale, je suis le parfait destructeur des préjugés et des formes. Ça n'a pas de prix !"
Sa tutrice le voyant à nouveau bien remonté et jubilant face à lui-même, se sentit un peu soulagée du poids de la culpabilité : elle se l'avouait, elle avait dérapé et surtout totalement ignoré les signes de la trahison que lui avait donnés cette mégère anorexique à qui elle avait pourtant tout cédé, tout permis depuis le début du début des mandats.
"Salope, salope" ne pouvait-elle pas s'empêcher de murmurer.
Ils s'étaient tapés ce couple qui sentait le renfermé depuis la première heure, elle avait dû trouver des chemises aussi blanches que celles de ce philosophe sémite afin que le petit Emmanuel ne se sente pas malade d'envie à chacun de ses retours du front mondial et lors des nombreuses interventions télévisuelles qui les suivaient immédiatement.
Elle avait donné son aval pour que sa demi-mondaine serine une chanson totalement insipide devant la planète entière, les amis sont les amis et la tutrice savait généreusement récompenser la fidélité ...tous ces efforts pour quoi ?
Je vous le demande !
La tutrice gagna la partie de scrabble comme à son habitude et le petit Emmanuel apaisé pu reprendre raséréné ses cafouillages quotidiens.
Ce qu'il ignorait, ce n'était pas encore l'heure de tout lui dévoiler, c'est que leurs valises étaient presque prêtes et qu'elle avait réservé deux tickets pour une île dont elle ne se souvenait plus le nom, au cas où.
De toute façon, elle travaillait nuit et jour à lui ouvrir les portes de la Grande commission afin qu'il se technocratise à la perfection et exerce son pouvoir magnifique loin des remugles des foules hexagonales sans que son talent dans la calamité n'ait à affronter l'arbitraire des urnes. Après tout, il avait effectué ce pour quoi il avait été mandaté par ses oncles du Palatinat, ils laissaient derrière eux comme couple le plus haï de l'histoire de France, un amas de déchets, une montagne de débris. Il accèderait au trône, c'était sa destinée, elle sourit en pensant brièvement à un de ses prédécesseurs dont elle avait, aussi, oublié le nom, un petit type un peu bouffi, un peu rougeot, qui était réduit, pour continuer à aller se faire voir, à exercer des fonctions de députations insignifiantes...
"A quoi ne s'abaisserait-on pas pour rester sous le feu des projecteurs !!" s'exclama-t-elle en ajustant d'un geste un peu nerveux sa perruque.





In memoriam