3.31.2025

A quoi bon le face-à-face si on ne peut jamais se touner le dos ?

A quoi bon le face-à-face si on ne peut jamais se touner le dos ?

La visite matinale aux réseaux sociaux déclenche toujours la même sensation de malaise, comme pourrait le faire la participation à un combat de boxe qui exigerait d'être à la fois spectateur et acteur et surtout comme la répétition ad vitam aeternam d'une situation conflictuelle se nourrissant d'elle-même et sans issue possible.
C'est peut-être en partie dans cette impasse, propre aux situations de guerre que réside la dimension totalitaire du néolibéralisme du "soft power", chacun est condamné à brandir sa version de la "vérité" sur des évènements, produits ailleurs que dans sa propre existence, ailleurs donc que là où il est supposé avoir encore un peu de pouvoir et chacun surtout est condamné à s'accrocher à sa propre version non en terme de production d'un point de vue qui soit le fruit d'une analyse mais en terme de posture morale.
Or qui dit morale, dit uniquement face-à-face mortifère entre le bien et le mal.
Les temps de guerre sont caractérisés par ce clivage net entre ennemis, séparés par la limite claire de ce que chacun des camps considère comme son bon droit.
La paix, au contraire ouvre les possibilités de déradicalisation et permet à chacun, groupes ou individus, de souffler un peu dans l'à-peu-près du bien, en dehors des limites contraignantes pour la santé mentale de cette répartition binaire.
Il n'est pas de paix sans possibilité de concession, c'est à dire de prise en compte des intérêts de l'autre quel qu'il soit.
Or cette prise en compte est radicalement exclusive de critères moraux puisque ceux-ci ne concernent que la façon dont chacun se situe au regard de ses propres choix à la fois dans son rapport à lui-même et dans son rapport aux autres.
La négociation entre les diverses situations et leur pendant institutionnel, la justice , peut représenter ce qu'on peut qualifier de dynamique de création d'un bien commun, qui peut se métaphoriser sous la forme d'une sorte de transcendance des différences et devrait caractériser la fonction même du politique.
Lorsqu'il s'agit de maintenir des groupes ensemble, on peut considérer que le jeu politique se situe toujours dans l'entre-deux, c'est à dire dans la préservation au moins pire des intérêts ne pouvant qu'être irréconciliables si il s'agit de les réduire les uns aux autres.
L'explosion, relativement récente, en minorités du grand récit culturel contemporain, trainant derrière lui son pendant inamovible de victimisation met sur la scène politique les droits, incompatibles, à demeurer minoritaires tout en étant parfaitement reconnus comme intégrés à l'ensemble social.
Elle a complètement modifié ce rapport à l'ensemble supposé caractériser la vie politique. Il n'est en effet de minorité que s'opposant, et à d'autres minorités et à l'ensemble devenu exhangue parce qu'inqualifiable autrement qu'en terme numérique de majorité, ou en terme de lieu fantasmatique de la "répression" c'est à dire, à travers cette opposition qui est la définition même du syndrome minoritaire, n'existant qu'en recréant à l'infini des conditions de scission, de séparation, de face-à-face propres à la guerre, soumis au binarisme moral bien.mal et à ses impasses.
La nature de cette promotion minoritariste au rang de seule possibilité de posture politique exclut tout champ de négociation, tout champ de concession entre des entités décrites comme séparées par "essence" par "nature".
Le face-à-face qui devient structurel remplace le champ de la négociation, de la concession et fait l'impasse sur une entité imaginaire mais vitale pour toute forme de cohabitation, de "bien commun" c'est à dire toute forme de construction du politique.
A quoi bon se faire face si on ne peut choisir de se tourner le dos ?
Au "minoritarisme", on peut adjoindre, avec les mêmes travers, la distribution politique partisane, ayant dans sa constitution mission d'attribuer les décisions concernant l'ensemble à des formes de factions se déclarant par la légitimité fictionnelle de leur appartenance, représentante d'entités imaginaires comme "le peuple" ou "la nation" mais incapables de prendre ces mêmes décisions en pouvant s'élever au-dessus du biais partisan de leurs prémisses sectatrices.
Le malaise évoqué plus haut et certainement ressenti par beaucoup est dû, au moins en partie, au fait que la parole est absolument confisquée, standardisée, mutilée par la primauté de la position morale adoptée comme sorte de garantie existentielle qui ne peut autoriser quiconque à sortir de ses balises et de ses croyances, quelles qu'elles soient, sous peine de tomber dans le "camp du mal" et par la négation radicale de toute manifestation d'une réalité autre qu'elle implique.
Les temps de guerre dans lesquels nous sommes ne sont peut-être que ceux de cette impuissance à créer de la synthèse, c'est à dire du champ transcendant le minoritarisme et l'aliénation partisane et la dichotomie qu'ils engendrent.EG

A table !