Nous sommes tant habitués à ce bruit de fond qui nous recouvre et provient toujours de la même source : Paris, que ce soit dans ses injonctions, ses mouvements politiques, sa vie intellectuelle, sa presse d'état ou sa presse indépendante, nous parle nuit et jour, qu'évoquer son histoire, ou simplement remettre en cause la légitimité de son pouvoir sur la construction de l'Esprit du temps est à peine concevable.
Depuis, en fait, le XVII ième siècle, Paris, et l'effervescence culturelle des salons, lieux où se font et se défont les valeurs de chacun de ceux qui "comptent", où se partagent les idées en les validant, ou tout à côté, le centre revendiqué par l'absolutisme de la cour, ont dessiné cette forme pyramidale, ou plutôt circulaire, d'un centre et d'une périphérie.
Que ce profil de la distribution du pouvoir décisionnel, juridique, culturel se soit imposé contre les résistances majeures de la population rurale ou urbaine des villes moyennes, qui alors constituaient la grande majorité de l'occupation du territoire, est rarement évoqué, tant cette forme de domination est passée, en quelque sorte, dans nos gènes nationaux.
Ce qui est également rarement évoqué, c'est l'aura de condescendance, de mépris et l'absolue certitude de détenir une forme de droit infrangible qui sert de carburant idéologique à ce pouvoir centralisé.
Il y a eu un prix, énorme, à payer pour en arriver là et d'une certaine façon, l'état de délabrement économique, intellectuel de la nation qui peut se constater actuellement est, en partie, dû à ce mouvement d'imposition d'un pouvoir unique et central, qui, à ne plus renouveler ses représentants sur plusieurs décennies, à monopoliser complètement tous les flux informationnels, culturels, a fini par ne pouvoir sécréter qu'une sorte de soupe polémique à la place de débats éclairés, une représentativité inapte et inepte, totalement désenracinée, des artistes convenus et médiocres et des animateurs presque illettrés comme seuls commentateurs de la folie du monde.
Ce qui, pourtant se nomme "le peuple", même sous les appellations insultantes que lui ont attribuées certains politiciens pourtant élus par lui, ou que certains réalisateurs se sont permis de proférer en le qualifiant de "fin de race", est de toute évidence, la seule source de production d'énergie nationale.
Le clivage campagne.ville est ancien, mais dans le contexte de cette centralisation c'est un clivage beaucoup plus invalidant qui opère sur tout le pays : un centre qui légifère, et... le reste.
Ce "peuple", décrit comme étant "la" province est en fait extrêmement divers, tant sur un point socio-économique que géographique et tous les efforts de nivellement opérés depuis plusieurs siècles pour unifier, et surtout pouvoir encadrer les cultures et les pratiques dites "régionales" jusqu'à les reléguer au rang de folklore ont avant tout amené ceux et celles qui vivent dans ces régions si différentes à douter, ou, pire à ne pas même imaginer pouvoir avoir à exprimer ou adopter autre chose que les discours et les productions validées par la capitale.
La capitale, c'est la lettre majuscule placée devant chaque mot, chaque idée, c'est la lettre qui regroupe tous les pouvoirs dans un microcosme qui, comme tout regroupement humain, vieillit, au sens où ses ressorts moraux et intellectuels s'usent au profit des intérêts de chacun, pris dans son confort institutionnel et son impunité et qui imagine que jamais RIEN de cette distribution du pouvoir ne saurait changer.
Or, il suffit de traverser : haut bas, droite gauche, ce pays pour y voir, y sentir immédiatement que tout ce potentiel, toute cette histoire plurimillénaire est présente, active, et n'a pas complètement été rendu silencieuse et stérile par la main-mise centralisée parisienne.
Il suffit d'aller y voir de plus près pour constater, que contre vents et marées, contre le martelage quotidien des médias d'état qui la relie à ce qu'on lui dit du monde, la "population" vit, évidemment, mais aussi pense et crée.
Surtout, crée, malgré les carcans administratifs qui l'étranglent et la castrent.
Et c'est de ceci dont nous avons, nous, peuple français radicalement besoin : de mobiliser les idées, les projets, les aventures, les découvertes, afin de pouvoir retrouver ce qui, au fond est, l'essence même de l'espèce humaine : sa créativité.
Tout le système d'innovation, d'élaboration politique, culturelle est entre les mains des trusts internationaux, majoritairement, depuis longtemps, imposés par les USA, qui brident et orientent les objets d'étude afin de les adapter au plus vite au marché.
Leur pouvoir colossal est aussi ce qui freine toute initiative personnelle, tout grand "euréka" au profit de codes d'investigation uniquement fournis par les divers monopoles dans leur poursuite d'un "Grand tout"mondialisé qui sont plié et modélisé sous leur volonté.
La "base", en ce qui concerne la France, est totalement contrainte, soumise par force à ne jamais pouvoir prendre ses propres décisions, ni à expérimenter librement afin de trouver des solutions aux situations créées par ce système.
Elle est réduite à faire partie des entités qui la désignent depuis quelques années par sexe, classe d'âge, race en ayant organisé les représentations des rapports entre ces groupes comme rapports uniquement conflictuels.
La mutité créative générée par ce pouvoir centralisé est palpable, évidente, permanente mais ne peut se dire comme telle, pris que ce peuple est dans l'idée que seule la petite politique, la politique politicienne est la façon de faire du politique, convaincu qu'il est que ceux qui parlent publiquement savent ce qu'il ignore sur sa propre vie, convaincu que les "partis" de cette même politique ont la main-mise sur ses choix et qu'ils les représentent.
Comment imaginer que ce microcosme parisien puisse savoir quoi que ce soit sur la vie d'un Creusois ?
Comment imaginer que ce même microcosme auto-reproduit, consanguin intellectuellement, puisse dans cette ignorance, ne pas exercer seulement un pouvoir arbitraire, technocratique, sur ce qu'il produit comme représentations sur le monde qui l'entoure, en absentant complètement la base pourtant élément essentiel et vital de ce même monde ?
Il faut pouvoir se dire, ou se rappeller en allant investiguer dans les soutes de notre histoire, que les communautés rurales et citadines, ont eu des fonctionnements et des régulations complètement indépendantes de tout pouvoir centralisé, que ce sont ces communautés "à taille humaine", défendant toutes, plus ou moins les mêmes valeurs, qui ont exercé pendant des siècles leur propre justice et leur propre loi, toujours adaptées aux conditions de vie, de survie de leur région, de leur "pays".
On a choisi la Creuse à titre de référence parce que c'est un des département qui est le plus victime des préjugés mortifères du "parisien type", relégué à être le symbole du trou percé dans la France profonde.
Et le mot est juste : profonde, en opposition à la dynamique superficielle de survie citadine qui n'existe qu'à devoir se renouveller sans cesse pour se maintenir, qu'à initier et suivre au plus près la "tendance" la "mode", jusqu'à ne plus pouvoir différencier ses propres idéaux, ses propres valeurs avec ce renouvellement constant de ses penchants idéologiques.
Jusqu'à ne plus RIEN avoir à dire, à se dire d'autre que sa soumission éphémère à tel ou tel sbire avide de pouvoir ou à telle et telle tendance idéologique en mal de visibilité.