10.14.2025

Mémoire courte

 Mémoires courtes

La saine distance à prendre à l'égard de TOUS les contenus médiatiques, dans le contexte de ce qui se présente à nos esprits comme une forme de bombardement permanent sollicitant, chaque fois, nos réactions, favorables ou outrées, nos postures, rigides ou nuancées, nos avis, éclairés ou ténébreux, notre foi, nos croyances, autrement dit tout ce qui est du ressort des constructions psychiques pouvant servir de garanties contre l'errance, ne peut fonctionner, et à quel prix, qu'en tentant de vérifier les effets sur soi et sur sa propre perception de ces flux de passion continus.
Au fond, ce qui endommage toute capacité d'analyse est tributaire de plusieurs phénomènes auxquels nous sommes tous plus ou moins liés sans toujours nous en apercevoir.
1. Les "évènements" ne sont JAMAIS décrits en tant que tels mais toujours l'objet d'une décantation, modification, amputation, effectués par leurs transmetteurs, c'est à dire par l'aéropage de tous ceux et celles qui se sont donnés, appropriés, la capacité, le devoir de "nous" éclairer. Leur lanterne étant, bien sûr, nettement et de plus en plus, orientée.
2. Cette posture de réceptacle est totalement dépendante du système radio-télé qui dans sa structure même, place, et c'est certainement une de caractéristiques de la modernité, le "patient" en position TOTALEMENT passive, c'est à dire sans possibilité de réponse ni de questionnnement. Cette évidence étant sensible et fonctionnant comme un aveu dans les appels aux "auditeurs" sensés permettre une remise à niveau des prises de paroles, tout en ménageant le pouvoir d'imposition de la "vérité" des "commentateurs" sur le supposé-savoir dont ils sont les détenteurs.
3. La grande majorité de ce qui forme la "masse" est ainsi recluse dans un rôle uniquement passif de digestion dans ce qui est de l'ordre de sa responsabilité dans la construction de ses postures et délègue la construction de ses avis à un processus d'assimilation permanent dont les "commentateurs" sont l'estomac et le foie. Donc, située en bout de course de l'absorption du flux, la "masse" se contente de déféquer ce qui lui est donné en pâture sans avoir pu ou voulu vérifier les composants initiaux de ce qui sort d'elle sous forme de rejet. On peut comparer ça à la fabrication de la nourriture industrielle.
4. Il est tout à fait intéressant de situer ce permanent phénomène de digestion passive dans l'éventail des manifestations de l'amnésie qui semble caractériser tant de réactions à ces mêmes évènements : oubli de leur contexte historique. Oubli des diverses manifestations d'un même phénomène. Ceci dans l'ordre de la perception dénaturée des CAUSES. Et, peut-être surtout, omission constante des "effets", des CONSEQUENCES de ce qui est décrit comme évènement.
5.Le labeur individuel de la mémoire est ainsi ramené à une sorte de passage à l'acte permanent, sous couvert d'une "actualité" sans cesse renouvelée et que le "public" a pour devoir, obligation, mission de "suivre", exprimant en bout de course comme l'indique ce dernier terme et sur le tas, "un point de vue " sur des faits souvent perçus comme tragiques, bouleversants, odieux, dangereux etc. mais tous condamnés à en rester là, c'est à dire sans jamais avoir les moyens de placer ces mêmes évènements dans le temps, c'est à dire avec leur évolution, leur résultat, leurs CONSEQUENCES.
6. On peut citer dans ce contexte : les suites de Tchernobyl. Les suites du Tsunami. Les suites pénales de toutes les attaques meurtrières ou des morts ayant déclenchés des vagues dans la société civile puis disparaissant complètement de la surface médiatique. Les suites des inondations catastrophiques ou des incendies ravageurs. Les suites des massacres du bétail. Les suites des manifestations diverses. Certaines guerres qui continuent dans un silence médiatique quasiment total.
7. On peut évidemment avoir accès, en cherchant beaucoup et longtemps, à quelques analyses, à quelques bribes de renseignements mais l'ensemble de l'affaire est tristement révélateur : rien de ce qui concerne, encore une fois, ces CONSEQUENCES et la façon dont elles modèlent et modifient l'environnement humain ou écologique, dont elles questionnent la dimension de "résilience", terme apparu "comme par miracle" pour colmater à peu de frais cette question déniée des "suites", usé jusqu'à la corde comme tant de "signifiants flottants",* qui, curieusement, mais pas tant, a été encensé par les foules sans que personne ne cherche à lui donner corps dans autre chose qu'un goût du jour pour les philosophes du dimanche.
Rien jamais non plus sur les enjeux financiers de ces chaos qui se succèdent comme seules manifestations de " l'actualité" alors qu'ils n'existent, dans ce qu'on va nommer "la réalité", qu'avec leurs conséquences et par elles.
8. L'amnésie et l'absence de fond des politicailleries locales actueles, les remises en cause du système judiciaire sont du même ressort : paroles, actes posés ne sont jamais pris dans le contexte de leurs suites et donc de leurs effets, mais mâchés en tant que valant pour eux-mêmes, ce qui est de toute évidence un façon complètement erronée de considérer les choix et les responsabilités ou les accidents. L'ensemble des décisions, informations, est "balancé", conditionné par les "commentateurs" puis absorbé par le "public" que les peuples sont supposés être entièrement devenus, qui à son tour les lâche sur les RS dans une grande fête de l'Oralité à laquelle tous participent.
9. L'ensemble de ce système de production-effacement immobilise, paradoxalement, toute idée de "devenir" que chacun de ces évènements pourtant porte avec lui dans la mesure où il est situé dans le temps et dans son travail. Les "faits" se succèdent sans que soient questionnés leur "effets" sur du moyen, long terme, donc sont suspendus et sans possibilité d'élaboration, ni de relativisation, et dans une illusion, caricaturale au niveau de notre secte au pouvoir, que "tout passe" et s'oublie sous la surface, autrement dit que rien n'a vraiment d'importance puisque rien n'a de conséquences.

Mémoire courte