Petit conte amiénois
Deuxième partie.
Il faut l'avouer, les premières séances de dressage ne portèrent pas les fruits attendus.
L'animal domestique semblait peu disponible, voire plutôt rétif à ses poussées didactiques et le petit Emmanuel finissait souvent ses leçons de changement épuisé, à bout de nerf, très frustré par l'absence totale de signe apparent d'évolution.
Il remettait l'animal domestique dans son box et allait boire son jus d'orange bio, servi avec amour par sa protectrice à qui il ne manquait pas de se plaindre de la rudesse, de l'incurie, de la grossièreté, de l'entêtement et tout et tout de cet animal domestique si en-deçà des performances de ceux de ses voisins. C'était gênant.
Lorsque le petit Emmanuel rendait à ces derniers une visite de courtoisie, il tenait à leur faire savoir que c'était dans les gènes de son animal domestique d'être mal dégrossi et peu sensible aux bienfaits du progrès sur les consciences.
Il évoquait, en de longues harangues, parfois bilingues, dont il s'était fait une spécialité, les maux divers qui ralentissaient ses acquisitions, les sept plaies d’Égypte lui servant souvent d'image pour bien faire entendre à son auditoire que, malgré son zèle, malgré sa ténacité et sa foi inébranlable en ses capacités rédemptrices, s'opposait l'obstacle immense de siècles entiers d'une histoire erronée que son animal domestique peinait à effacer et donc, que ses auditeurs l'entendent, il avait encore du boulot.
Le petit Emmanuel évoquait alors, levant les avant-bras vers le ciel, comment il avait réussi à le faire marcher sur ses deux pattes avant pendant un petit quart d'heure, comment aussi, lors des quelques moments de rébellion qui amenèrent l'animal domestique à tenter de lui mordre le mollet par trois fois, il avait su se montrer d'une fermeté telle, le privant plusieurs mois d'affilée de sortie, de nourriture sans jamais fléchir ou revenir sur sa décision, que l'animal domestique avait fini par consentir à venir manger dans la main de ses gardes du corps.
Chaque fois qu'un peu de progrès semblait enfin acquis, il s'empressait de courir en informer sa tutrice qui lui donnait alors pour l'encourager, un petit Ferrero Rocher qu'il dévorait sans attendre.
Mais il voulait passer à la vitesse supérieure, élever son animal domestique à la hauteur de ceux de ses plus proches voisins qui avaient si peu de problèmes avec la discipline et semblaient obtenir si facilement ce qu'ils attendaient.
Le petit Emmanuel ne l'avouait pas, sauf à demi-mots à sa tutrice lorsqu'elle posait sa tête à ses côtés sur l'oreiller, mais il craignait de perdre les faveurs de ses oncles du Palatinat si son animal domestique n'arrivait pas à assimiler les règles et les enjeux d'une métamorphose totale qui visait, le petit Emmanuel le lui avait pourtant dit et répété, uniquement à le rendre plus heureux, plus libre, plus indépendant.
Il décida donc, lors d'une nuit d'insomnie, de passer à l'étape suivante et d'appliquer des méthodes beaucoup plus coercitives afin d'obtenir de son animal domestique qu'il s'adapte au cours de l'histoire. Il confia son nouveau plan à sa tutrice et celle-ci lui répondit : Je suis d'accord. EG
( A suivre)