9.21.2022

Petit conte amiénois Première partie

Petit conte amiénois
Première partie

Le petit Emmanuel traverse l'espace et laisse derrière lui des ions libérés par la charge énergétique qui le tient debout vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Il ne sait pas que certains le craignent et commencent à trembler aussitôt que le son un peu nasillard, haut-perché de sa voix se fait entendre dans le dédale des salons.
Il le sait mais ne veut pas le savoir.
Quand il accepte de le savoir, un léger frisson lui parcourt l'échine.
Il ne veut pas savoir non plus que d'autres, aussi nombreux, sont consternés par ce qui est supposé être son perfectionnisme dans la spontanéité et qui, de disposition en décret, d'ordonnance en initiative, ne se révèle être que la démonstration d'une sorte de culte de la bévue.
Cela non plus, il ne veut pas le savoir.
Le petit Emmanuel avance dans la vie comme dans une aire de jeu, sous la surveillance débonnaire et patiente de sa tutrice qui ne manque jamais de lui offrir de nouveaux jouets lorsqu'il montre les moindres signes d'ennui.
Et il montre assez souvent des signes d'ennui.
Elle le connaît comme si elle l'avait fait et anticipe alors quelque scandale, quelque trahison, quelque prérogative suffisamment spectaculaire pour le réanimer et solliciter sa combativité naturelle, celle qu'elle a tout de suite appréciée les premiers temps de leur rencontre et que, depuis, elle nourrit inlassablement.
Le dernier cadeau qu'elle lui a fait c'était un animal domestique, elle le lui a confié un matin à son réveil, lui disant à l'oreille : "Regarde comme il est joli, maintenant tu es son président".
Comme toujours lorsqu'il est face à quelque chose de nouveau, il a sauté sur ses petits pieds, plein d'excitation et s'est promis d'en prendre grand soin.
Mais le petit Emmanuel ignore tout des soins à donner, uniquement élevé depuis toujours dans ceux qu'on lui donne.
L'animal domestique était là devant lui, commençait à vaquer à ses travaux ordinaires, à ses petites besognes quotidiennes, à aller et à venir, peu soucieux de celui qui, là-haut, le fixait de ses yeux bleu d'azur, ses yeux si clairs, que sa tutrice avait aussi immédiatement chéris jusqu'à la passion.
Mais, dès les premiers attendrissements passés, le petit Emmanuel trouva très vite que tous ces actes anodins, ces petits faits que l'animal domestique enchainait sans y penser, faisant tourner sa petite existence avec régularité et bonne volonté, toutes ces choses anciennes, connues, éprouvées, n'étaient pas suffisantes, trop banales, pas assez visibles, pas assez novatrices.
Le petit Emmanuel était une créature faite pour le défi.
Pour initier le défi, organiser le défi.
Faite pour mettre au défi tout ce qui venait à s'aventurer sous son aura immaculée.
Il décida que son animal domestique devait enfin se tourner dans le sens de l'histoire, cesser enfin de s'adonner à des rituels désuets pour faire définitivement face au changement.
Il décida de le dresser et de lui inculquer les principes du changement.
Tous.
Principes que lui, le petit Emmanuel, maitrisait depuis longtemps sur le bout des doigts et qui lui avaient été transmis, alors qu'il était encore tout petit, par ses oncles du Palatinat.
L'apprentissage en fut rude mais sa tutrice veillait à ce que le petit Emmanuel ne se relâche jamais, l'entourant d'une sollicitude sans faille, entièrement dévouée à son ascension, à la montée de la puissance et du pouvoir de cet enfant en qui elle sentait les signes divers d'une ambition furieuse qui venait comme étancher sa propre soif de notoriété. ( à suivre)

 

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