Petit conte amiénois
Quatrième partie
Le petit Emmanuel, tout en vaquant à ses occupations de président cherchait les moyens les moins coûteux et les plus rapides de persuader son animal domestique de devenir enfin ce qu'il n'était pas.
Hélas les stratégies utilisées jusqu'à présent : manipulation, persuasion, encouragement, remontrance, punition ayant été assez vite épuisées et sa créativité personnelle étant plutôt orientée vers le sophisme, il s'avoua à court d'outils pédagogiques et dut se tourner vers le savoir-faire de son préfet préféré afin de bénéficier de son expérience et de ses conseils avisés en matière de redressement.
La rencontre fut discrète et brève, ce n'était pas si compliqué, il s'agissait pour le petit Emmanuel de simplement s'initier au tir.
Ce qu'il fit, avec un certain plaisir, même si le bruit et les odeurs légèrement musquées de la salle d'entraînement ne lui étaient pas familiers, il avait déjà eu l'occasion de fréquenter lors de ses nombreuses campagnes divers environnements aux effluves surprenantes et avait même, un jour de grande motivation, serré la main d'un maraîcher.
Il savait qu'en cas de contact, il lui suffisait de s'essuyer avec une des lingettes désinfectantes que sa tutrice mettait toujours dans son sac avec son goûter.
Il pratiqua donc le tir sur cible pendant quelques séances puis décida que l'heure du changement avait sonné et que la prochaine rencontre avec son animal domestique serait décisive.
Finie la rigolade. Finies les résistances aux grands projets de renouveau. Finies la grogne et les exigences.
Il était la seule référence. Un point c'est tout.
Il se sentait parfaitement soutenu dans sa détermination par ses oncles du Palatinat et par sa tutrice qui lui avait tout de même suggéré, un soir où elle avait une légère migraine, que si c'était elle tout ça aurait été bouclé depuis longtemps déjà mais bon.
Il entra donc fringant comme à son habitude dans le centre de dressage, portant fièrement en bandoulière le LBD40 prêté par son préfet préféré qui avait sauté sur une si belle occasion de s'exprimer et avait pris les devants en utilisant une fois ou deux pour le plaisir ses canons à eau sur le corps recroquevillé de l'animal domestique directement dans le box.
Bien-sûr, dès que la force des jets d'eau et leur odeur putride le clouèrent contre les parois l'animal domestique sentit que l'heure de son changement intégral avait sonné mais ignorant encore les méthodes choisies pour le modifier, il sortit de son box trempé, couvert d'hématomes mais soulagé lorsqu'il aperçut le petit Emmanuel dans l'embrasure de la porte.
Celui-ci lui sourit, ce qui le détendit un peu et commença à lui énoncer la liste de tous les points à modifier dans sa manière d'être, dans ses goûts, dans ses capacités de travail, etc.
L'animal domestique fit semblant de lui prêter attention, on peut dire que cette liste, il la connaissait par cœur, répétée encore et encore qu'elle lui avait été dès le premier jour de leur rencontre.
Mais peu soucieux d'atteindre ces objectifs qui, sans qu'il en dise rien, lui semblaient tous plutôt vains et complètement irrationnels, pour gagner du temps, l'animal domestique avouait ignorer comment y accéder et affirmait attendre une bonne mise à niveau de ses compétences , un peu de développement personnel et quelques directives de son président qui lui éclairerait enfin le chemin.
Donc, quand le petit Emmanuel lui demanda de courir en rond sur l'aire de dressage, il pensa quelques instants que tout allait enfin être réglé.
Cours, c'était un ordre clair, c'était facile.
Le petit Emmanuel était campé au centre, dans la lumière, chaussé de sa paire neuve de Weston et vêtu d'un joli blouson vert-bouteille, son Brügger & Thomet bien calé contre son torse et il leva la voix en demandant à l'animal domestique d'accélérer, ce que celui-ci fit avec beaucoup de bonne volonté.
Tournant ainsi de plus en plus vite et entendant résonner à ses oreilles qui s'agitaient dans le vent de la course les ordres se presser, lancés, de plus en plus rapprochés et de plus en plus fort, par le petit Emmanuel, l'animal domestique commença à s'essouffler et à tirer la langue tout en tentant de maintenir le rythme de sa course.
Il ne prit pas garde au changement de position du petit Emmanuel, toujours placé au centre mais agenouillé maintenant, ayant pris soin de mettre un petit carré d'étoffe sous son genou d'appui afin de ne pas salir son pantalon, tenant son ustensile tout contre son épaule et plaçant l’œil au viseur comme il avait appris à le faire lors de sa formation express.
Le choc fut si violent que l'animal domestique bascula au sol et y traîna quelques secondes sur le dos en hurlant, la tête rejetée en arrière sous la douleur intense qu'il ressentit à l’œil droit, suivie d'une giclée de sang qui lui coula dans la gorge.
Ses hurlements se turent bientôt, l'animal domestique qui avait pris l'habitude d'être rossé et savait encaisser les coups les plus vicieux fut emporté à son box sur un brancard, balbutiant seulement quelques mots inintelligibles.
Parmi le fidèle public réquisitionné pour la prestation persuasive, certains ne purent supporter ce spectacle affligeant et se tournèrent pour vomir, d'autres, qui, comme il leur avait été demandé dans le briefing matinal applaudissaient à tout rompre, notèrent que le regard bleu d'azur du petit Emmanuel s'était tout à coup mis à briller d'une étrange lueur mais, par pure lâcheté et pour protéger leur gamelle, ils se turent tous.
Il se mit à faire de petits bonds d'allégresse sur l'aire de dressage maintenant désertée par l'animal domestique et le personnel d'entretien.
Il sautillait, il sautillait, transporté une nouvelle fois par cette démonstration de ses capacités si éclectiques à réduire, tout en finesse, tout ce qui s'opposait à sa volonté.
Une victoire incontestable puisqu'il n'y avait pas eu de combat.
"Rentrons-vite, je dois de suite en informer ma tutrice !"
"Je l'ai touché ! Je l'ai touché !" répétait le petit Emmanuel, comme pris d'une transe soudaine.
"Mon œil !" murmura l'animal domestique, balloté sur son brancard, regagnant son box nauséabond.
Il allait le perdre et sentait, plus encore que la douleur, un écœurement, les brûlures d'une trahison qui lui serraient le cœur et les tripes face à tant d'injustice et de déloyauté.
Sans plus y penser, le petit Emmanuel poursuivit ses affaires d'état, son objectif était momentanément atteint, il était maintenant le seul à voir clair.
Huitième partie