6.01.2025

Décapités nous sommes.


Décapités nous sommes.

Qu'on le veuille ou non, qu'on en soit ou non conscient, il est déposé entre les mains du pouvoir une part de notre besoin de sécurité. Celle qui peut nous permettre de continuer à vaquer à nos occupations quotidiennes en n'ayant pas la nécessité d'être sur un pied de guerre permanent et en pouvant au moins nous appuyer sur une stabilité des institutions et de quelques-unes des valeurs pérennes, et de ce pour quoi elles ont structuré le pays et son histoire.
La représentation, c'est un peu ça que ça implique, vous remettez les clefs, symboliquement, à une instance, incarnée par un personnage pour un certain laps de temps afin qu'il agisse et décide au nom du bien collectif, c'est à dire aussi au nom de votre bien individuel.
Ça marche, plus ou mois bien, normalement, puisque c'est évidemment une fiction mais c'est la fiction de la démocratie représentative et on a longtemps cru que c'était la plus respectueuse de l'écologie sociale et du respect apriori de chacun des membres d'une entité abstraite : la nation, le pays, le peuple, etc.
Que la forme constitutionnelle française, créée dans un contexte historique spécifique et légitimant cette posture représentative, ses droits et ses devoirs, puisse vieillir et se craqueler au contact des évènements endo et exogènes, c'est une évidence. Son schéma s'est usé au contact des personnes, des individus qui l'ont palpé et interprété, et jugulé et détourné en prenant le pouvoir, sachant qu'elle est supposée avant tout être un rempart contre ce même pouvoir qui n'est au fond que la manifestation de ses abus lorsqu'il n'est pas contré, contrôlé "en toute honnêteté".
Il va de soi que c'est bien avec un substrat de valeurs morales que ce pacte s'exerce. L'honnêteté, la probité, la capacité à "en savoir " assez pour prendre des décisions éclairées et tournées vers le long terme, autrement dit cette représentation est dans l'obligation pour prendre corps d'exercer la justice en étant présumée juste, d'exercer l'éducation en se fixant comme horizon le devenir des futurs "citoyens" qui lui sont confiés dans la perspective d'une collectivité et non d'une sorte de devenir personnel sans bords ni cadre imaginaire commun, de prendre soin de la santé de tous sans qu'on en vienne à la soupçonner de vouloir nous anéantir etc.
Les divers représentants élus en tant que "chefs de l'état" lors des dernières décennies, ont navigué dans le système constitutionnel et la logique partisane tant bien que mal, étant plus ou moins contrés, attaqués mais ils n'ont encore jamais miné leur fonction comme lieu d'autorité a priori et comme entité symbolique de représentation du peuple qui les avait élus.
Ce que le dernier en date a attaqué lui, pour diverses raisons, c'est la teneur de ce lien de confiance supposé premier qui ne peut pas se concevoir si s'éveille le fantasme que ce qui l'habite est tout sauf une représentation du peuple qui l'a élu et que l'idée même du bien commun qu'il serait en devoir de défendre, entretenir, peut aisément, en se frottant aux faits, se transformer en fantasme de destruction de ce et ceux qu'il est sensé représenter, à la fois sur la scène intérieure et extérieure.
Les si nombreuses, quotidiennes presque, manifestations de ce qui se nomme "barbarie", et leur niveau de violence gratuite incompréhensible, peuvent se lire à cet éclairage que sa fonction ayant été minée et ne laissant en sa place que des décombres et une forme bien repérable de délire, le peuple en question est sans tête, au sens propre du terme, c'est à dire sans garant, sans garantie, sans bornes, livré aux spasmes des pulsions, des passages à l'acte qui n'ont pas, plus besoin même de se justifier par un gain, un bénéfice autre que leur effectuation.
Un pays sans tête, ou avec, ce qui est pareil et peut-être pire, une tête folle.
L'appareil symbolique qui tient ensemble le pays est devenu une sorte de marécage, de sables mouvants, où chacun, privé de la possibilité d'un recours face à la folie pourtant perceptible, d'une loi qui puisse s'exercer et à qui il puisse faire confiance apriori, d'un lieu du soin qui puisse effectivement le soigner et non chercher à le faire disparaître, d'un lieu de l'apprentissage où l'apprentissage soit la colonne vertébrale et non l'obsession catégorisante, erre, uniquement nanti de sa propre résistance et de ses capacités d'entendement, et seul, avant tout seul même si il cherche à s'imaginer faire partie des métastases idéologiques que l'état décapité a laissé proliférer.
Une des régles, un des fondements de ce qu'on continue de rêver comme une démocratie, c'est bien, au regard d'autres systèmes sociopolitiques, cette sorte d'intime conviction que ceux qui sont élus le sont pour votre bien, pour votre protection, en dépit de vos origines, de votre niveau économique. C'est un leurre, une fantaisie qui évidemment ne résiste pas à l'épreuve des faits mais c'est bel et bien le mythe sur lequel l'Occident s'appuie depuis plusieurs siècles afin de pouvoir idéaliser son modèle comme seul modèle possible et acceptable. C'est un conte, une afabulation mais c'est elle qui permet à une partie du monde de brandir la muleta du progrès en lui donnant une forme humaine.
Ce qui a décomposé ce mythe jusqu'à égarer tant de compatriotes ; immigration, Europe, mondialisation, progressisme à part, c'est à dire comme effets et non comme cause, c'est le fait que celui qui l'incarne depuis tant d'années n'a pas de "corps" au sens institutionnel mais seulement un corps d'enfant, au sens où il ne fait que s'autodéléguer, qu'il ne représente que lui-même et qu'il ne le sait pas parce qu'il est fou.
Il faut du temps pour que ceux qui l'observent de leur profondeur puissent s'apercevoir qu'ils n'existent pas alors qu'ils pensaient être représentés.
Ça les rend fou aussi, différemment mais fous aussi.
On peut même imaginer, en dehors de ses incohérences flagrantes et de sa mégalomanie un peu idiote, que le spectacle incestueux que cet individu a mis sous les yeux de son peuple, spectacle, qui comme toutes ses paroles est produit avec le présupposé que ce même peuple ne "s'apercevra de rien", a contribué à complètement enflammer une partie mâle, adolescente ou jeune adulte de la nation, ceux qu'il nomme "ses frères" et qu'il aime tant à tripoter, population sans mental, sans but, sans idéal, mue par des codes de meute et qui erre sans tête, elle aussi, en ayant grandi dans un enfer où ce qui fait autorité s'est ou bien absenté, pris de culpabilité, ou assimilé à un simple exercice de la force et de la répression, où la parole n'est qu'un artifice médiatique, où l'impuissance et le mensonge sont érigés en mode de gouvernance et où l'exercice du pouvoir se limite à tenter d'exercer une séduction sur tous tout le temps et à avoir besoin régulièrement de se faire humilier par tous, tout le temps.EG




 

 

5.28.2025

Faire de la place

Faire de la place 
 
 Le plus étrange, étrange à cause de la légèreté avec laquelle la question semble "tranchée", comme un poids dont collectivement il s'agirait de se débarrasser pour pouvoir sans scrupules passer à autre chose, c'est la sorte d'évidence dans laquelle les "partisans" de l'euthanasie ont sectionné la branche du doute.
Libération. Soulagement. Hourras même comme pour une avancée méritée sur la voie sans but du progrès.
Là, une fois de plus, comme sur l'évidence de l'avortement, l'évidence de la vaccination, l'évidence de la transsexualité, non comme des lignes de traine de la lente et douloureuse plongée de l'humain dans sa propre méconnaissance et dans la bascule qu'il a utilisée vers un état de l'espèce qui pourrait "se régler", sans à-coups, sans tension, sans scrupules, qui le mettrait, dans sa perspective d'individu partie prenante d'un "public", rôle auquel dorénavant nous sommes tous astreints, à l'abri par "un droit" acquis de haute lutte. Là, dans l'administration du produit léthal, "droit à mourir dans la dignité"
Ce qui pousse derrière ce "droit" à la dignité incarné dans un "choix" effectué dans des conditions sommes toutes assez manipulables , c'est l'idée que la souffrance, quelle qu'elle soit ne pourrait être partie prenante de la dignité. La souffrance, physique, morale, qui pourtant est une constante de notre destinée en tant qu'espèce, sous tant de formes, tant de terreurs, tant de manifestations de notre incapacité à éradiquer la violence comme donnée phylogénétique inhérente à la vie-même.
En quoi donc, la suppression volontaire de cette souffrance serait-elle un acte de bienveillance pour soi-même et pour son prochain non pas pour lui épargner les âffres de la souffrance mais pour l'aider à atteindre une sorte de " dignité" " dans l'accès à la mort. 
On a, dans cette marche collective vers l'anesthésie généralisée comme finalité de tout progrès : confort, bien-être, développement de soi, positivité etc. rencontré la même inquiétude dans l'apport encore une fois technomédical, de la péridurale dans l'accouchement, opération qui, dans un contexte similaire de "passage" existentiel fondateur permet de neutraliser, de banaliser cet évènement unique à travers l'idée que la douleur de mettre bas ne serait pas parti prenante de sa dimension sacrée.
Qui peut savoir, sous ces généralisations de la recherche de la "dignité" , ce qu'il en est de l'expérience de l'agonie ? 
Qui peut savoir , sauf à être ce spectateur impuissant et impatient qui a hâte que "ça" se produise, ce qu'il en est du travail de gestation de la mort à venir, dans la psyché comme dans le corps de celui qui s'en va ?
Il est assez étonnant, quand on croise le nombre de démarches de quête d'une parole venue de l'au-delà pour ceux qui y croient, ou quand on se réfère aux tentatives de criogénisation pour accéder à une vie éternelle, que cette dimension d'un processus, long, évidemment souvent douloureux ne soit pas envisagé comme quelque chose qui "nous " dépasse et sur lequel on n'ait pas d'intrusion triviale à se permettre.
Agonie, c'est angoisse. Angoisse de mort. Mais angoisse pour qui, sinon avant tout pour ceux qui, autour du moribond, assistent à leur propre mort anticipée avec effroi.
Agonie, c'est avant tout la séparation ultime d'avec ceux qui restent avant d'être celle d'avec son corps. 
 Abréger les souffrances, bien sûr ; la douleur est un baillon absolu, un monopole tyrannique de la conscience où le sujet disparait et il parait légitime que cette horreur d'un corps traître de soi, d'un corps devenu ennemi et bourreau, ne laissant pas de répit à ce qui lutte encore pour y être soit allégée au mieux, mais ce qui s'opère quand celle-ci peut-être atténuée, éloignée, c'est un travail qui met chaque chose à sa place et avant tout donne à la vie qui s'achève ses droits d'avoir été.
Car si on peut réclamer de la dignité, n'est-ce pas dans la menée à terme de sa propre existence et dans ce qu'on lui doit comme compte ? Comme une affaire à régler avec soi-même avant tout, à laquelle les autres assisteraient sans rien y comprendre ?
Ce qui est simplement choquant, dans de multiples évocations du recours à l'euthanasie, "Quelques heures de printemps" de Stéphane Brizé, par exemple, c'est l'aspect banal, ordinaire de cette démarche suicidaire, et le côté absolument sordide, ou pire, laid et anodin, du lieu où le "soin" létal s'administre. Au fond, dans cet exemple, au vue de l'existence du personnage qui veut disparaître, la maladie peut sembler une justification par rapport au vide sidéral de ces heures qui défilent sans substance, comme si au fond, la vie elle-même avait déserté depuis longtemps l'horizon et que matérialiser la mort, n'était qu'une façon de clore une histoire de l'ennui.
Mais ce qu'on peut tout de même se dire, au-delà des craintes, légitimes, d'abus non régulables, ici, on ne mentionne pas l'infâme "aide active au suicide", qui elle aussi semble révéler le fait, évident avec la covid, c'est que vivre ou mourir dans cet univers transhumaniste, c'est exactement pareil. 
Plusieurs vagues de fond scandant les discours montrent quotidiennement les modifications des valeurs et les paradoxes, cohabitant sans jamais être mis en balance, qui rendent fous, et qui ont effectué la transformation de représentation de la vieillesse en simple fardeau social, de la mort administrable comme un simple acte de soin, de la prolongation sous d'autres formes des visées éliminatrices d'euthanasie généralisée de certains théologues milliardaires et de la lente mais irréversible glissade vers la banalisation et de l'insignifiance de tout ce qui nous fait humains : consommateurs de notre propre mort comme de notre sexualité, empoisonnés avec constance, bridés, manipulés, rendus abrutis et passifs et politiquement représentés par des fantômes jouisseurs. 
Nombre gênant dans une organisation sociale de la destruction et du chaos, où le prix de la vie, victime des inflations terribles des deux guerres mondiales et d'un technoscientisme ignorant ce qu'il poursuit, n'a plus de poids, devenus tous, comme l'histoire l'a montré des "stücke", de la quantité à sortir des prisons, des hôpitaux, des écoles, de tous les lieux de la cohésion sociale pour céder la place à d'autres..EG


4.15.2025

Les nouvelles "catégories noires".


Une des caractéristiques des révolutions dites "socialistes "observées tant lors de la Révolution française et son expression ultime dans la Terreur que subies pendant le 20ième siècle, en Europe et en Asie est leur capacité à associer le mouvement de modernisation structurelle et sociale dont elles se targuent d'être les moteurs au fantasme, mythe, d'un ennemi, extérieur et surtout intérieur qui compromettrait la marche vers l'idéal révolutionnaire.
L'objectif affiché, mis en oeuvre sous des formes multiples est non seulement de réformer tous les modes d'échange individuels et sociaux en redistribuant les hiérarchies, en redéfinissant la nature des liens familiaux, en faisant prévaloir le droit et le devoir de chacun de devenir un délateur dans tous les champs de sa vie privée et, au bout du compte, en projettant sur une forme de changement radical ce qui peut être qualifié "d'âme humaine"  pour le bien des diverses causes révolutionnaires en marche.
Il est incontournable, pour accomplir cette mise en oeuvre de la révolution "finale" et de son projet eschatologique, d'éradiquer tout ce qui est sensé être un frein, à travers des oppositions supposées, au grand mouvement vers le Bonheur et la complétude : de la nation, des individus, du Parti, du prolétariat, etc.
Les formes de contrôle mises en place pour obtenir ce résultat ont comme fonction de générer une sorte de nettoyage social de tous les éléments générateurs de sabotage, de pourriture, de réaction, de dépravation,  de révisionnisme et elles s'appliquent à tous les champs, privés et publics, de l'individu, le situant dans la sphère  et sous la coupe des "administrateurs moraux " recrutés et rétribués par le système et supposés en représenter les formes ultimes de promotion sociale, qui ont les missions de surveillance, d'organisation de la surveillance, de répression, etc .
Ce qui est attaqué, pointé et mis à nu en permanence, sous le renfort de la peur constante générée par la surveillance et le secret de ses objectifs et de ses méthodes, c'est la qualité morale de chacun dans le contexte des attentes du projet révolutionnaire, attentes qui sont la plupart du temps uniquement énoncées à coup de slogans suffisamment généraux pour qu'il soit quasiment impossible de relier objectivement telle ou telle parole, tel  ou tel acte de la vie quotidienne à leurs attentes.
C'est donc une sorte de gouffre répressif qui s'ouvre ainsi où tout, actions, échanges, paroles, se doit d'être mesuré à une aune  pratiquement impossible à délimiter autrement que par les qualificatifs qui attribuent à certaines catégories les exactions  ou la génétique historiquement répréhensible sensées freiner le processus révolutionnaire.
Une des constantes de ce rapport de surveillance permanent est sa capacité à s'intégrer dans le discours sur lui-même de l'individu accusé, sous la forme d'un retour sur ses errements politiques,  de ses trahisons, de ses erreurs, autrement dit dans la transformation de chacun, sous l'oeil sans pitié des divers tribunaux et censeurs, en condamné battant sa coulpe, se flagellant, s'auto-dénigrant pour avoir failli aux régles de l'esprit du temps révolutionnaire.
Cet ennemi de l'intérieur prend plusieurs visages mais on lui trouve quelques constances dans la dynamique répressive, souvent incroyablement destructrice, mise en place.
Une de ses régles est celle de la condamnation de l'"obsolescence" des conduites ou des propos "d'un autre âge", des comportements ou paroles  des "gens du passé", qu'on retrouve incarnée dans une autre règle, celle de confier à des "jeunes", des  "adolescents" la détention de la vérité et l'application de la poursuite impitoyable des  groupes ou individus désignés comme " koulaks ", " catégories noires", éléments indésirables.
 
 Il va de soi qu'un parallèle trop rapide et généralisant entre les divers mouvements  idéologiques contemporains et les cas historiques de la France de la Terreur, de la Chine maoïste,  de l'URSS, du Cambodge etc.  serait caricatural.
Cependant,  on peut observer des manifestations quotidiennes de traits constants dont les sources opérent à bas-bruit, c'est à dire en se mettant en place sans à-coups ou dans une violence diffuse, justifiées qu'elles sont par l'aura  du "changement" comme code moral indiscutable intégré par chacun et qui caractérise les dynamiques répressives révolutionnaires, à la fois dans les organes institutionnels et leurs médias que dans les postures individuelles et l'évolution du contrôle sur les propos.
N'oublions pas d'autre part qu'une catégorie largement poursuivie, réprimée dans tous ces moments historiques a été celle de ce qu'on nomme "les intellectuels", c'est à dire ceux qui sont supposés offrir aux évènements et aux modalités de leurs enchaînements  le recul nécessaire pour que ceux-ci ne soient pas seulement subis mais, au moins en partie, compris dans leur logique sous-jacente. 
Or, qui ne peut pas le constater dans la douleur, cette catégorie, même si elle n'a pas encore été éliminée, a pris place dans la construction idéologique de ce même changement, et est donc devenue incapable d'en mesurer autrement qu'en terme dogmatique et dans un rapport clos à lui-même, les divers enjeux.
Les porte-paroles supposés critiques incarnés maintenant par quelques commentateurs patentés de la vie annexe médiatique n'offrent aux facettes de l'évolution que leurs analyses superficielles tirées aux quatre épingles de la démagogie, de l'usage des ressorts élémentaires et brutaux des pulsions de masse, il est difficile de s'appuyer sur leur acuité intellectuelle pour y voir plus clair.
 
On va, ici, sans nommer les protagonistes, évoquer quelques faits récents qui relieront des évènements et des prises de paroles d'individus médiatisés, artistes, animateurs et autres, constituant dorénavant la Cour post-moderne et sa capacité à faire vibrer l'esprit du temps de ses diktats.
Un des mouvements des mentalités perceptible quotidiennement et qui peut être considéré comme un signe du basculement actuel dans le totalitarisme révolutionnaire est la condamnation permanente du passé, exprimée sous la forme du "c'était une autre époque", évoqué à chaque vieux lièvre lubrique et misogyne levé, et entrainant comme une sorte d'évidence la stigmatisation d'une génération entière  au nom des "fautes" qu'elle aurait commise.
Dire tout de même, que dans cette  "koulakisation" active, on n'a pas affaire à une notion strictement mathématique de la mesure du temps qui qualifie normalement ce qui définit une  "génération" et qu'on a, dans cette hyper-catégorisation générationnelle accusatrice  uniquement affaire à une catégorisation noire d'une génération encore vivante et surtout génitrice des membres du Parti la condamnant, qui incarne une " époque révolue" par essence condamnable dans la liberté de ses propos face au dogme de plus en plus imprégné dans les modes de pensées eux-mêmes.
Rappelons-nous que cette capacité, ce devoir de condamner ses propres proches parents  fait aussi partie de la mise en place du totalitarisme révolutionnaire.
On peut associer plusieurs manifestations de  ce phénomène dont on redira qu'il est structurel de sa mise en place.
L'une d'elles est la dimension  maintenant presque "naturelle" de l'excuse, de l'amendement public, de la confession, offerte par certains "amuseurs " ayant sévis dans des émissions de grande écoute dans les années 80.90 qui émergent maintenant l'âme en peine face à leurs méfaits misogines, racistes etc. et avouent, alors qu'ils avaient fait de leur virulence leur fonds (lucratif) de commerce, combien ils regrettent leur manque de respect pourtant cultivé comme leur marque de fabrique maintenant qu'ils sont enfin éclairés par le Bien.
Une autre est la question posée par un autre de ces amuseurs qui se demande si "seul un Arabe ( mais ce pourrait être n'importe quel groupe dit minoritaire) peut faire des plaisanteries sur les Arabes", on se souvient des polémiques du même jus, sur le droit d'un comédien non homosexuel à jouer autre chose qu'un hétérosexuel.
Une autre encore est l'amalgame entre la dimension nécessairement libre du personnage fût-il archi-damné, pervers, infâme et le comédien qui l'incarne, où l'on demande, dans une sorte de nouvelle forme de tribunal populaire néo-puritain, des comptes à l'acteur pour avoir joué/tenu de propos misogines, racistes. dans le cadre de son interprétation. etc.
Ou encore la comparaison des scènes érotiques filmées par tel metteur en scène, décédé mais retourné dans sa tombe par son ex-compagne  et livré au bûcher moralo-médiatique par la Société des Maîtres, avec les prestations cinéphiles de Pélicot.
Ces expressions d'une surveillance devenue omniprésente sous les radicalisations, toujours obsessionnelles et bornées comme tout ce qui se radicalise,  sacrifient, en plus des ressorts propres à l'humour qui est toujours un rapport décongestionnant à l'autre, toute la marge de respiration symbolique, c'est à dire le fait que la chose et son ombre sont nécessairement séparées pour que la chose crée l'ombre, autrement dit l'art, la parole, l'esthétique etc.
L'énergie, colossale, déployée à s'approprier d'un seul élan toutes les causes génératrices de salut et de rédemption  au nom d'une "libération de la parole" (des minorités) toujours présentée  comme "vérité" sous le masque de la pure-victime face à la décadence insupportable des aînés (de la majorité) , dans un mouvement au fond oedipien mal digéré (disons-le, absolument originé dans le puritanisme protestant nord-américain  et l'ambivalence historique de ce pays quant à sa propre licence) est concentrée sur le rôle devenu symbole de courage, de la "balance", forme de création contemporaine révélant à qui mieux-mieux  et après un sérieux temps d'incubation dû à "l'emprise" subie sans le savoir, les impensables dysfonctionnements moraux "d'un autre âge".
Tout ce nettoyage moral s'impose avec une telle force répressive qu'il n'est pas besoin d'être condamné pour se sentir condamnable et surtout faire publiquement pénitence.
 
La ligne de fond "dure" de toute révolution est dans l'absorption de ses valeurs par l'individu qui se doit, sans jamais savoir d'où viendra la délation, de censurer ses propos, de les surveiller sans cesse, et simultanément, de porter sur tout ce que son voisin manifeste son regard scrutateur.
Elle est tendue également sur une condamnation massive du "passé" dans laquelle les acteurs de la scène totalitaire impulse leur créativité se limitant à la formulation d'une plainte renouvelable à merci.
Le reste, c'est à dire les outils de répression économique, judiciaire, s'appuie sur cette intégration par l'individu des "fautes" de l'ennemi hypothétique désigné dont la poursuite et la condamnation devenue quête existentielle, outil d'auto-promotion et marché rémunérateur, ouvrent aux jours meilleurs. 
Tout totalitarisme, s'appuyant sur des mythes intangibles  comme "la liberté", "l'égalité" , réorganise d'une façon radicale le rapport au bien et au mal, avec comme mandat l'éradication complète, matérielle de tout ce qui incarne le mal en question, et pour se faire se doit de désigner en son sein ce qui freine son advenir vers la pureté totale.
Le néopuritanisme ambiant procède d'une façon similaire, pas encore aussi visiblement destructrice, quoique, au regard des grandes mouvances anthropologiques, elles aussi intégrées dans les valeurs de chacun au nom du Bien.
On assiste dans la mise en place du cadre répressif, à une efflorescence de condamnations, de lynchages, de volonté d'éradication, appuyés sur l'effet de masse des médias qui castre, auto-castre le discours ambiant, et plus encore, l'idée en chacun qu'il a le droit de penser au mal sans penser à mal.
 
 
 
 
 
 
 
 

4.09.2025

Nous ne nous parlerons plus jamais.

Nous ne nous parlerons plus jamais.

 Si nous nous parlons et que chacun de nous a construit l'intime conviction d'être le porte-parole de la vérité, qu'advient-il de nous, qu'advient-il de la vérité, emmurée qu'elle sera alors sous la conviction qu'elle doit, pour chacun de nous, s'imposer ou périr.

Si lorsque tu me parles, tu brandis entre nous une force immatérielle mais toute-puissante qui te tient lieu de justification ou d'argument, parle en ton nom et que c'est en ce nom que tu entres dans ce qu'on appelle une relation, où es-tu si je te cherche et où suis-je ?

Si nous nous parlons et que ce que tu sais de moi est construit en amont sans jamais devoir m'entendre, si ce savoir te suffit et m'exclut de ce cercle clos de convictions que tu n'as jamais besoin de développer, de décrire, d'argumenter, dont tu ne peux pas apprécier la précarité ou le degré d'usure, où se situe l'espace nécessaire d'une pulsation du doute, du sous-tendu du  "oui mais"qui nous laisse,  à toi comme à moi, la possibilité de respirer chacun à notre rythme.

Si me cibler, me cataloguer, m'inclure ou m'extraire de ta vision de l'humanité est la seule possibilité pour que tu te maintiennes dans ce savoir qui ne se tient qu'à délimiter en permanence ses frontières, que reste-t-il d'autre que l'élimination comme elle se dit elle-même " pure et simple" de ce qui déborde d'humain dans l'humain  que tu crois voir ?

Si tout de ce que tu dis, montres est tracé ailleurs par d'autres mais que tu ne sais plus par qui ni pourquoi, si tu plies toute ton existence à des préceptes qui la modèlent sans lui laisser l'espace et l'instabilité  du risque nécessaires à oser l'expérience ni la nécessité de déterminer toi-même quelles sont tes erreurs afin de les incorporer  non comme le combustible de la culpabilité mais comme la seule énergie motrice,  où est ta vie, à qui appartient-elle ?

Si ta route semble déjà tracée à travers  la marche exclusive sur le dogme qui lui sert de sol, comment peux-tu voir ce qui se déroule de chaque côté de toi et lui conférer le rôle de moteur pour avancer sur un chemin dont tu ne peux pas, ni pour toi ni pour moi et quoi que tu tentes pour prouver le contraire, jamais connaître  ni les fondations ni le point d'arrivée.


4.03.2025

A table !



A l'écoute du ventre : les secrets de votre santé


Réalisé aux USA il y a quelques années, ce documentaire met "en scène", à part les chercheurs, quatre "cas", trois femmes et un homme ayant de sévères troubles alimentaires, chacun avec son rapport spécifique à la nourriture.
On a évidemment le thème du deuxième cerveau, les scanners qui montrent comment le premier cerveau de chacun réagit à des images de plats divers,  on a évidemment le fait de manger lui-même, qui devient un problème majeur, le problème sur lequel se centre toute l'existence de chacun des participants.
Compléments alimentaires par brouettes, chez l'une, repas devenus un lieu de souffrance et d'inconfort permanent chez l'autre, reprise de poids systématique et obésité morbide après des régimes draconiens chez la troisième, sorte de phobie anorexique, dévotion aux concours d’absorption de nourriture considérés comme un "sport"  chez le quatrième,  engloutissant sans respirer  ou presque des centaines de hamburgers qui lui ont fait perdre la sensation de faim et celle de satiété.
Autre détail, mais de toute évidence partie prenante de la requalification anthropologique des temps actuels et de ses rapports à la norme et au pathos, le fait mentionné d'être parents d'"enfant autiste" et ADHD, fiancé à  "un homme dépressif" chaque fois avec une sorte d'étrange banalité  présentant ces caractéristiques comme des évidences.
La recherche postule des incidences de la qualité du microbiome dans, en fait, toutes les manifestations de malaise, de souffrance, physique ou mentale, prenant la place de lieu de l'origine pour la plupart des pathologies  répertoriées propres  ( et créées par) à notre époque.
On en est là.
On en est à cette médicalisation totale, de diagnostisation absolue de tout, générant des individus à qui ont dit d'"écouter leur propre corps" (mais comme nous ne sommes pas à un paradoxe injonctif près, c'est même en partie ça qui nous rend tous fous, tout en trompettant, ailleurs mais simultanément qu'on peut être "né dans le mauvais corps")  alors que le rapport à ce même corps est en continu vécu  et décrit comme problématique et insatisfaisant.
Corps malade, débile, rebelle, immaîtrisable, augmentable, devenu, sous toutes les formes du bien-être obligatoire rejouant les formes de la césure corps/esprit qui continue de nous hanter, où dans une sorte de silence fantasmatique des cellules, on arriverait à se détacher, de notre vivant, de la "chair",  sous la forme aussi du tatouage universalisé qui cache ce corps en ne disant rien sur lui, ou de la chirurgie plastique, et dans le même mouvement, génitale, atteinte à l'intégrité/intégralité du corps vivant qui, quoi qu'on puisse imaginer d'une spécificité de la chirurgie du genre, s'origine dans ce même rapport dévasté au corps où le sujet n'est impliqué qu'en se devant de le transformer, et pour finir, sans mentionner le transhumanisme mais en y pensant très fort, également à travers de la fièvre diagnostique comme seul accès maintenu au savoir supposé et mentionnable sur soi.
Ce glissement du rapport au corps, le rendant omniprésent tout en passant le temps à chercher à le faire disparaître, est la seule branche sur laquelle on peut encore s'asseoir, branche pourrie  quant à la construction d'une relative paix avec un "soi" qui demeure toujours à conquérir dans une quête d' "adéquation" , d'une "vérité" toujours repoussées : autrement, ailleurs, plus tard etc, mais quête jouissivement obsessive qui projette en permanence l'idéalisation d'un travail  enfin achevé vers le "bonheur", la perfection de la plénitude, version post-moderne, assez triviale, du paradis et qui, de consultation en soin, de hamam en régime tibétain, de sport de l'extrême en dose de fentanyl, s'achèverait un jour, une fois pour toutes, mais surtout pas dans la mort.
Cet effort, balisé d'une constante souffrance concentrée sur un besoin compulsif de se caractériser pour lui donner un semblant de  consistance expressive et s'identifier,( identification qui se recentre sur la tentative désespérée de se trouver un "nom" dans les produits nosographiques en cours mais qui a définitivement éliminé tout mouvement vers l'extérieur et l'autre sauf à limiter cet autre au fantasme de l'idolâtrie propre aux adeptes du show biz et des figures médiatiques), nous concentre sur ce que les temps caractérisent, évidemment d'une façon complètement inappropriée de "narcissisme" et nous donne de quoi alimenter nos  préoccupations métaphysiques exhangues, dirigeant le sens de notre vie qui n'en a plus d'autre.
On ne peut pas écouter ces témoignages et les discours des spécialistes qui accompagnent la leçon de plénitude excrémentielle sans situer tout ce "merdier" dans un contexte de foire collective où plus personne ne sait comment vivre avec lui-même en dehors des  prescriptions et des diktâts tendanço-scientistes.
Il ne s'agit pas de nier la part importante de cette découverte  de l'importance du microbiome et des dysfonctions alarmantes des équilibres bactériens  nécessaires au travail de l'intestin que la Bouffe immonde, comme la Bête du même nom, a transformé en déserts.
La question porte plutôt sur la folie d'en être tenu à avoir un point de vue exclusivement scientifique sur ce qu'on doit manger, doit  boire, quand, où,  tout en encensant le recours à "l'intuition" pour se sentir vivant autrement qu'en se sentant trahi en permanence par son corps dans un combat permanent, discours expert faisant office de surmoi qui ne peut que pousser plus avant la section du cordon ombilical qui nous relie à nos propres évidences et à une forme de savoir de l'espèce que cette science a complètement invalidé pour tous comme obsolète, tout en devenant, prise qu'elle est dans les mailles du filet techno-financier, la source même de ce qui nous rend, à travers le lien entre nourriture dégénérée et médicalisation des troubles qu'elle génère, salement malades.
Il n'y a pas de place pour une quelconque "intuition" quand la forme de savoir collectif, transmissible, formulé ou non, est réduite à néant et quand tout acte individuel n'est lisible qu'à travers son évaluation déterminée ailleurs et devenue,  pour l'individu supposé faire appel à un "instinct" qui résiderait encore dans son corps  et lui ouvrirait les voies d'une vérité, le seul récit qu'il soit en mesure de faire sien.
 La promenade dans les rayons si monstrueux des supermarchés américains, où tout est sous emballage chatoyant, où les pommes, les poulets sont enrobés de plastique par mesure d'hygiène, la référence aux aliments en terme de carbs, de fibres, d'absence de gluten, de taux de glycémie  vérifié par une application à chaque ingurgitation, l'absence de question sur le simple fait que la nourriture soit devenue UNE MALADIE alors que pendant des millénaires c'était sa quête qui était un problème et que les risques de disettes devaient certainement rendre les "consommateurs " moins pointilleux sur le nombre de calories à absorber quotidiennement, laisse plus présager d'une déshumanisation accélérée que d'un progrés dans la maîtrise scientifique des processus nutritionnels.
En être à simplement dire ceci, au bout d'heures d'analyse, de contrôle  : "Il faut manger varié"  est peut-être le révélateur de la profondeur de l'impasse  dans laquelle s'est mis l'Occident.
Tout comme compter le nombre de pas effectués par jour pour rester en " bonne santé" n'équivaudra jamais, et pire, ne sera jamais dans le même registre de ce qui fonde l'humain que de se promener, il s'agit de devoir, là également, comme dans les pratiques sexuelles, l'activité physique, le sommeil, la détente, le travail, bref tout ce qui concerne et marque la nature même de la réalité humaine, de passer une nouvelle fois par le crible mortifère de l'expertise pour  finir, toujours, par revenir à de simples évidences,  ce qui en d'autres temps serait qualifié de "bon sens"c'est à dire de savoir partagé et commun, mais de simples évidences devenues si peu simples et si peu évidentes, perdues qu'elles sont dans l'amnésie scientiste postmoderne, qu'en ce qui concerne l'alimentation, l'usage, le désir et l'accès à tout ce qui s'offre de délicat, de doux, de goûtu à la surface des maraîchages se doivent d'être l'objet d'une rééducation.
Dans la boucle mortifère d'un sujet expertisé du sol au plafond et n'ayant que le discours désincarné de cette expertise pour se dire lui-même, l'identité évoquée plus haut se limite à ce qui se dit et ce qu'elle dit de son propre pathos.
Ce rapport, ce "retour aux sources" de l'évidence, une fois, bien sûr, celle-ci reformulée par l'appareil de l'expertise et expurgée de toute trace du savoir  non quantifiable de la transmission, est présenté comme une forme de soin sur des comportements et des discours qui s'"alimentent" eux-mêmes comme identité à préserver dans une forme d'hystérie nouvelle vague où le corps EST un problème.
Si toutes ces "pathologies" alimentaires se présentent avant tout comme objets de comportements répertoriables dans les bibles de la psychiatrie et de la médecine contemporaine, l'acte de se nourrir lui-même est condamné à lui aussi s'inscrire avant tout dans le champ du pathos et non dans la champ de l'activité culturelle et sociale qui situe l'individu avant tout, à travers sa consommation, dans un groupe de partage et de plaisir. La Cène, entre autres mythes, est une des marques de cette nécessité strictement humaine de délier le partage du repas de sa stricte fonction physiologique.  
Cette pathologisation/ce pathologisme de tous les actes de la vie quotidienne auxquels nous sommes condamnés, comme dans le cas des quatre mal-mangeants évoqués plus haut, amènent toute l'existence, toute les pensées, toutes les images d'eux-mêmes à ne se centrer que  sur leur corps comme lieu d'une défaillance mystérieuse, toujours échappant, toujours à juguler, maîtriser avec l'aide et le pouvoir de l'expertise qui saurait de quoi il retourne alors que ce qui se dit  "scientifiquement" est devenu la seule forme possible de leur parole sur eux-mêmes.

 

3.31.2025

A quoi bon le face-à-face si on ne peut jamais se touner le dos ?

A quoi bon le face-à-face si on ne peut jamais se touner le dos ?

La visite matinale aux réseaux sociaux déclenche toujours la même sensation de malaise, comme pourrait le faire la participation à un combat de boxe qui exigerait d'être à la fois spectateur et acteur et surtout comme la répétition ad vitam aeternam d'une situation conflictuelle se nourrissant d'elle-même et sans issue possible.
C'est peut-être en partie dans cette impasse, propre aux situations de guerre que réside la dimension totalitaire du néolibéralisme du "soft power", chacun est condamné à brandir sa version de la "vérité" sur des évènements, produits ailleurs que dans sa propre existence, ailleurs donc que là où il est supposé avoir encore un peu de pouvoir et chacun surtout est condamné à s'accrocher à sa propre version non en terme de production d'un point de vue qui soit le fruit d'une analyse mais en terme de posture morale.
Or qui dit morale, dit uniquement face-à-face mortifère entre le bien et le mal.
Les temps de guerre sont caractérisés par ce clivage net entre ennemis, séparés par la limite claire de ce que chacun des camps considère comme son bon droit.
La paix, au contraire ouvre les possibilités de déradicalisation et permet à chacun, groupes ou individus, de souffler un peu dans l'à-peu-près du bien, en dehors des limites contraignantes pour la santé mentale de cette répartition binaire.
Il n'est pas de paix sans possibilité de concession, c'est à dire de prise en compte des intérêts de l'autre quel qu'il soit.
Or cette prise en compte est radicalement exclusive de critères moraux puisque ceux-ci ne concernent que la façon dont chacun se situe au regard de ses propres choix à la fois dans son rapport à lui-même et dans son rapport aux autres.
La négociation entre les diverses situations et leur pendant institutionnel, la justice , peut représenter ce qu'on peut qualifier de dynamique de création d'un bien commun, qui peut se métaphoriser sous la forme d'une sorte de transcendance des différences et devrait caractériser la fonction même du politique.
Lorsqu'il s'agit de maintenir des groupes ensemble, on peut considérer que le jeu politique se situe toujours dans l'entre-deux, c'est à dire dans la préservation au moins pire des intérêts ne pouvant qu'être irréconciliables si il s'agit de les réduire les uns aux autres.
L'explosion, relativement récente, en minorités du grand récit culturel contemporain, trainant derrière lui son pendant inamovible de victimisation met sur la scène politique les droits, incompatibles, à demeurer minoritaires tout en étant parfaitement reconnus comme intégrés à l'ensemble social.
Elle a complètement modifié ce rapport à l'ensemble supposé caractériser la vie politique. Il n'est en effet de minorité que s'opposant, et à d'autres minorités et à l'ensemble devenu exhangue parce qu'inqualifiable autrement qu'en terme numérique de majorité, ou en terme de lieu fantasmatique de la "répression" c'est à dire, à travers cette opposition qui est la définition même du syndrome minoritaire, n'existant qu'en recréant à l'infini des conditions de scission, de séparation, de face-à-face propres à la guerre, soumis au binarisme moral bien.mal et à ses impasses.
La nature de cette promotion minoritariste au rang de seule possibilité de posture politique exclut tout champ de négociation, tout champ de concession entre des entités décrites comme séparées par "essence" par "nature".
Le face-à-face qui devient structurel remplace le champ de la négociation, de la concession et fait l'impasse sur une entité imaginaire mais vitale pour toute forme de cohabitation, de "bien commun" c'est à dire toute forme de construction du politique.
A quoi bon se faire face si on ne peut choisir de se tourner le dos ?
Au "minoritarisme", on peut adjoindre, avec les mêmes travers, la distribution politique partisane, ayant dans sa constitution mission d'attribuer les décisions concernant l'ensemble à des formes de factions se déclarant par la légitimité fictionnelle de leur appartenance, représentante d'entités imaginaires comme "le peuple" ou "la nation" mais incapables de prendre ces mêmes décisions en pouvant s'élever au-dessus du biais partisan de leurs prémisses sectatrices.
Le malaise évoqué plus haut et certainement ressenti par beaucoup est dû, au moins en partie, au fait que la parole est absolument confisquée, standardisée, mutilée par la primauté de la position morale adoptée comme sorte de garantie existentielle qui ne peut autoriser quiconque à sortir de ses balises et de ses croyances, quelles qu'elles soient, sous peine de tomber dans le "camp du mal" et par la négation radicale de toute manifestation d'une réalité autre qu'elle implique.
Les temps de guerre dans lesquels nous sommes ne sont peut-être que ceux de cette impuissance à créer de la synthèse, c'est à dire du champ transcendant le minoritarisme et l'aliénation partisane et la dichotomie qu'ils engendrent.EG

3.30.2025

Sale bâtard and Co.

Sale bâtard and Co.

La complexité et la forme intouchable du réel ne doit pas empêcher de tenter de saisir, au vol ou logé sous son apparence, quelques traits qui caractérisent le mouvement civilisationnel dans ce qu'il a d'inédit et donc de difficile à circonscrire.
Au fond, la seule planche de salut à laquelle s'accrocher peut être la constance de caractéristiques comportementales propres à l'espèce donnant à des phénomènes pouvant sembler inédits leur consistance et surtout, permettant peut-être d'anticiper les effets de changements d'ordre anthropologique sur nos représentations de nous-mêmes : pouvoirs, limites, apprentissage etc.
Chaque chose en son temps, et ici, la soumission de quelques hypothèses sur l'interdépendance entre les capacités langagières et le vécu émotionnel.
Oui, pas l'expression émotionnelle, le vécu émotionnel...
On évoque régulièrement pour ceux qui veulent bien l'entendre la progressive paupérisation occidentale (et peut-être mondiale) du patrimoine expressif : écrit, langage parlé, art, toutes les formes vitales de l'urgence humaine à exprimer, sortir de soi, presser au-dehors, symboliser, autant comme membre d'un temps social particulier qu'en tant qu'individu aux prises avec ses montées émotionnelles permanentes et confuses, semblent soumis à une forme de désertification de la créativité et d’engluement dans des répétitions dont on peut sentir l'essoufflement.
On a ici une des conséquences, une parmi tant d'autres, de ce qu'on nommera la loi de clôture du marché, c'est à dire du lien consommateur/producteur dans tous les champs socio-culturels où dans un cercle fermé tourne sur elle-même la proposition de création qui réponde aux attentes qui se modélent sur les propositions de création. Autrement dit, le lieu de supposée prolifération : des objets de loisirs, des objets d'information, des objets politiques, idéologiques, tous coincés dans le mouvement de redite consommateur.producteur où n'est offert que ce qui est attendu qui en retour modèlise ce qui est offert.
Le néocapitalisme a cette particularité, en ayant recouvert absolument toutes les aires du vivant, de l'inanimé et de la pensée, d'être en mesure, c'est ce qui assure sa survie voire son éternité, d'avaler TOUT évènement, quel que soit sa teneur, pour le recracher, modélisé, rentabilisé.
Ce qui est censé échapper à cette forme d'anthropophagie systémique n'a comme destinée que de se "pragmatiser", c'est à dire de se débarrasser de toute excroissance afin de pouvoir devenir digestible, ou de disparaître, corps et bien comme rebus. Il va de soi que la langage, le langage humain ne fait pas partie de l'indispensable pour le fonctionnement de la grande machine à broyer.
Le langage humain, au fond, à quoi ça sert ?
Le langage, le langage humain ne peut pas se réduire aux algorithmes, ni être essoré de toute sa prétention à l'inutilité.
Tout ce qui est dans la sphère du symbolique non plus d'ailleurs.
On peut relier l'appauvrissement actuel du langage à ce diktat de l'efficace, du quantifiable, du mesurable qui fonctionne lui aussi dans le mouvement en miroir du consommateur. producteur : émetteur. récepteur où l'illusion d'une compréhension parfaite, immédiate est elle aussi une marque de cette pragmatisation devenue entité quasi divine.
N'oublions pas le slogan de Bush et son recours de campagne au "plain speech" comme garantie de vérité.
La progressive perte des capacités d'expression, principalement langagières, c'est à dire la diminution drastique du nombre de mots à la disposition de l'individu peut être considérée sous plusieurs aspects :
Dans le contexte du regroupement de bande, meute, qui est une des modalités de socialisation de très nombreux adolescents et jeunes adultes et le type exclusif de modalité de socialisation des réseaux, cette paupérisation fait partie des sas incontournables qui jalonnent l'appartenance . Se reconnaître entre membres, c'est avant tout ne proférer que de l'intelligible, du hors de danger de l'inconnu, c'est à dire ôter la dimension exploratrice du langage, à la fois comme sorte de source de lumière ou d'ombre sur la vie intérieure et sur l'environnement. Il est donc impossible de s'autoriser à faire travailler son patrimoine langagier en dehors des clous des kit verbaux du groupe, qui fonctionnent plus comme codes d'appartenance que comme construction symbolique strictement personnelle.
On constate quotidiennement dans l'engouement pour les facéties diagnostiques où chacun croit trouver ce qui pourra le dire à sa place en s'équipant d'un intitulé tout droit sorti du DSM5, à quel point le discours sur soi, supposé tout de même être le lieu de l'intimité et de l'unicité subjective, est , dans les termes descriptifs de l' appartenance de genre ou dans la description de ses "troubles", lui aussi absolument soumis presqu'entièrement au carcan des stéréotypes.
Cette même paupérisation amène dans son sillage un recours extrêmement rapide aux fonctions langagières basiques, dès qu'il est nécessaire de sortir des voies balisées. Faute d'élaboration possible, le moment de rencontre avec l'inconnu se réduit aussitôt à des terrains réactifs archaïques : attaque, défense, comme le font les aboiements, c'est à dire qu'en son sein, le panel le plus actif est celui de l'expression immédiate de mises en gardes, de provocations, c'est à dire le registre, pauvre lui aussi, des injures utilisées comme mode relationnel quasi unique et matière privilégiée de rencontre avec l'autre dans l'usage de la parole.
L'hypothèse évoquée plus haut est que dans un mouvement de va-et-vient, cette paupérisation expressive va en retour appauvrir la complexité des manifestations émotionnelles, réduites à perdre leur usage, comme on perd une langue qu'on ne pratique plus.
Toute situation est TOUJOURS source d'une production complexe d'émotions, qui se mélangent et se recouvrent, mais qui balisent le rapport à la réalité comme sorte de signal de la place à y prendre. On peut imaginer que lorsque cette complexité est coupée en quelque sorte de ses moyens de description, elle opère une sorte de régression, voire d'effacement au profit des émotions les plus "performantes", et les plus directement perceptibles et identifiables.
Si la complexité, l'entremêlement n'ont pas les moyens de prendre forme par l'intermédiaire du substrat langagier qui leur donne vie, ils s'étiolent et disparaissent.
On peut aller jusqu'à dire que n'existe comme émotion, pour un humain que ce qui est exprimable mais que de la complexité de cette expression dépend la survie émotionnelle qui sans cette issue se réduit aux sensations les plus intenses et les plus enracinées dans les réflexes de survie. Comme une sorte de régression à l'animalité à travers la misère des codes.EG





3.27.2025

Lire, c'est pour les vieux.


VOUS ÊTES FOUTUS à moins que... (avec @LeHussard )


Lire, c'est pour les vieux.

Un plaidoyer fort, nécessaire contre la bestialisation de l'espèce.
Oui.
Oui mais.
Ce qu'on peut évoquer peut-être comme moteur de la désagrégation collective de l'intelligence occidentale, c'est à dire la disparition, au profit d'une sorte de sensibilité réactive permanente, du recours au "moment plat" de la réflexion, ( jeu de miroir, d'aller et retour entre l'objet perçu et la réaction que sa perception entraine) moment donc de silence relatif, nécessaire au temps de l'analyse, le temps nécessaire pour vérifier, au moins en soi, les causes et la légitimité de la soudaine inflammation qui amène une confusion entre ce même objet et la propre survie de son sujet récepteur, moment, comme le mot lui-même d'intelligence le signifie, où se tissent ou se révèlent des liens entre la quantité d'éléments toujours actifs dans n'importe quel évènement et où la tension de ces liens ne peut s'opérer que dans un travail mental du sujet aux prises avec lui-même, cette désagrégation donc, c'est, disons-le ainsi : plus qu'un état d'esprit, l'état des esprits qui se prête et se soumet surtout, avec une telle urgence, au broyeur des réseaux sociaux.
Il s'agit bien d'une urgence en effet : celle "d'en être", de participer à ce que les Américains ont nommé, dans leur capacité à tout acronymer qui n'a peut-être, après tout, pas que du mauvais, ""FOMO" the Fear of Missing Out", autrement dit, en se débranchant, la peur de passer à côté de ce qui est important, non parce que c'est un contenu essentiel pour vous ou la compréhension du monde mais parce que le fait de l'avoir incorporé et absorbé au plus rapide vous place en quelque sorte dans le sens du courant, ou en haut de la vague.
Cette forme d'urgence qui s'apparente à une addiction où l'état de satiété n'est jamais atteint, qui peut, si elle est contrariée, déclencher des crises d'angoisse, de dépersonnalisation n'est pas qu'un phénomène propre aux adolescents ou aux jeunes adultes, on croise à longueur de temps des "informés" compulsifs qui se sont promus et ont été promus dispensateurs de savoirs sur ce phénomène volatile qu'est "l'info" et quant à cet accrochage bec et ongle à la vague, à la lumière supposée vous éclairer générée par l'"actu" sous toutes ses formes, n'oublions pas, afin de pointer la relation entre "en être" et tomber dans l'obscurité de la non-visibilité, qu'il y a encore peu de temps les relégués pour dissidence propagandico-médiatique étaient (et sont encore) mis dans "les soutes", "les cales" des réseaux sociaux c'est à dire hors du champ du "fil"commun où chacun se sait ou se croit "visible", ce qui est, dans le bréviaire théologico-technologique la même chose que de se sentir vivant.
Ce que ces réseaux induisent avec la transformation en simples batteries réactives d'un type humain ayant eu il y a encore quelques décennies une profondeur subjective, un pouvoir, au moins relatif, sur le flot de leurs émotions immédiates et une capacité d'isolement dans le bruit assourdissant du monde, c'est le liant.
Pas le lien, le liant : matière extraite des échanges et transformation de leur contenu, de leur pouvoir expressif en densité algorythmique dépourvue du moindre sens, mais ayant le pouvoir de rassembler et d'unifier pour les transformer des signifiants parcellaires déposés dans le flux, expurgés du contexte de leur production, privés donc de toute portée ou recherche de cohérence symbolique, matière perpétuellement mobile, opérant comme une forme de huilage "insignifiant" mais permettant à la dynamique de se perpétuer et qui est une des caractéristiques du processus de formation de la MASSE.
Une masse, quels que soient les différents mouvements, groupes, sous-groupes, fans clubs etc. qui la composent et qui portent les corpuscules imaginaires qui la forment, c'est un conglomérat où le contenu n'a pas d'importance dans la mesure où il n'est supposé être utilisable que pour générer ce déclic, cette étincelle permettant l'incorporation des interventions des individus à la propulsion qui la constitue, individus réduits à être partie "prenante", au sens propre du terme, du mouvement qui n'a comme réalité que d'être impérativement, vitalement condamné à l'"actuel", c'est à dire soumis à l'heure, au jour de son émission et à son effacement simultané par les médias et les mémoires, "rails" du mouvement infini de l'information, quelle que soient leur obédience supposée et leurs formes.
"En être", c'est être à même de se déplacer sans répit sur cette ligne du temps de l'évènement et de l'amnésie qui le suit, d'un contenu à un autre, effaçant au fur et à mesure les contenus précédents et se connectant, dans des face-à face souvent extrêmement violents, à d'autres réceptacles, eux-aussi "connectés" à la nouvelle décoction qui devient "ce dont on parle" sur ces mêmes réseaux et qui tisse ce liant évoqué plus haut, caractéristique de la masse.
Le "sérieux" ou la gravité de ces contenus, ou leurs thèmes n'ont que peu d'importance puisque ces derniers ne sont utilisés que comme déclencheurs d'inclusion, ici, terme loin du sens idéologisé, mais décrivant la possibilité, sous une forme hélas devenue unique pour lui peut-être, de l'individu de se faire partie prenante-prise du mouvement, devenu soumis à un renouvellement permanent dans ce nouveau flux, de ce nouveau liant social qui n'est pas un lien et qu'on va appeler "le changement" ou "la mode" ou "la tendance" ou "le (re)nouveau".

Ce système a adulé et promu une hypothétique "jeunesse" comme valeur de référence, forme ultime et incarnation de ce travail permanent de dissolution du passé, propre à la dynamique de la production/consommation. Passé comme lieu d'enracinement des mémoires devenu une sorte d'objet de déni, de plainte, de condamnation permanente, encore une fois non tant quant à ses contenus, de toute façon toujours soumis à l'arbitraire d'une reconstruction orientée par les préjugés, mais simplement fautif d'avoir existé.

Ce "passé", cette "époque révolue", autrement dit la matrice de l'histoire à la fois individuelle et collective, est devenu lieu de fantasme portant une responsabilité absolue sur les déboires du présent et s'oppose à la valeur, quasi absolue elle aussi, devenue mythe fallacieux d'une sorte d'éternité toujours reconduite incarnée par une hypothétique "nouvelle génération" porteuse de tous les espoirs de renouveau et d'un pouvoir, lui aussi fantasmé, de rédemption, bien sûr sans vraiment préciser la nature de ces espoirs autrement qu'en une idéalisation, incurable apparemment, de la capacité évolutive de l'espèce humaine, ceci sans non plus noter que de sectionner en tranches d'âge de dix ans la population (occidentale) globale avec l'arbitraire d'une seule lettre, comme si une lettre pouvait jamais gagner du contenu signifiant, lettre qui désigne et induit ses soi-disant élans, efforts, spécificités, on postule en arrière-plan que chacune de ces générations, qui ne sont plus des générations au véritable sens du terme, c'est à dire avec la passe et la transmission qui les caractérisent mais des étiquettes modélisatrices, sera elle aussi réduite, condamnée comme tout passé, à la disparition, toujours elle aussi soumise à l'effacement par celle qui la suit.

Faire de "la jeunesse" une sorte de qualité en soi , d'ion libre supportant toutes les projections inconscientes, toutes les peurs et les attentes est d'autant plus catastrophique que cette dernière est écrasée par cette dynamique instoppable du flux médiatique dont elle est la substance même, sorte de victime expiatoire de cette anthropophagie médiatique, alors que les critères d'appartenance et de participation à ce dont "on parle" : conflits, positions, soumission, leaderships, usages langagiers etc. au sein des collectifs divers ; lycées, universités etc. sont beaucoup plus intenses au moment de l'adolescence qui peut considérer une exclusion de son groupe de référence comme une forme de condamnation à mort et où l'identification aux pairs et aux référents horizontaux dominants a complètement pris la place de l'identification verticale aux adultes qui servait de moteur à la création d'identité avant que le mythe progressiste de "la jeunesse" comme entité, état, objectif collectif à atteindre, capacité de compréhension, aux relents vaguement totalitaires, d'un bien universel, sorte de vêture attirante du marché et dépositrice du Progrès, du Changement, de la Mode, de la Tendance divinisés comme unique valeur, ne s'impose comme mode de se penser soi-même à travers tous les poncifs, les catéchèses devenus des marqueurs complètement intégrés du discours sur soi et sur l'autre vecteur de tous les diktats idéologiques de l'Esprit de mode comme impératifs .
Il va de soi que l'addiction de masse aux écrans génère de véritables déficiences et certainement en fonction de sa précocité, des dommages langagiers, relationnels, neurologiques et psychologiques irréversibles mais ce n'est pas uniquement sous cet angle que doit être considéré son succès global et la place quasi omniprésente qu'ils ont pris dans la vie quotidienne de certaines générations : Le fait de porter son "portable" impérativement visible dans la poche arrière de son jean, ou à la main en marchant, en conduisant, en courant, en pissant, en nourrissant son enfant, en promenant son chien, en achetant un pain au chocolat, n'est pas la manifestation exclusive d'un lien aux contenus mais la marque d'une "appartenance" à ce qui "se fait" et au fait d'"en être".
Mais ce qui "se fait", aura-t-on la capacité de nous en rendre compte, est un poison mortel pour ce qu' "on est", surtout en des périodes charnières de l'existence.
Bien sûr lire est une planche de salut pour l'intelligence mais qui lit n'est pas dans l'univers de l'impérieuse visibilité et de sa propre vie validée uniquement quand elle se rend spectaculaire ou quand elle se doit de témoigner en permanence de sa présence au spectacle donné par d'autres et si le contenu du roman et l'expérience absolument solitaire qu'il implique ne sont pas avant tout partageables avec les pairs celui-ci ne peut pas prendre de poids dans le carcan préformé de l'existence médiatisée où ce qui ne se donne pas à voir n'existe tout simplement pas. Lire devient une source d'isolement, une marque de la désuétude, une condamnation au déclassement dans la foule des dépassés. Et contre ça, lire, quels que soit les bénéfices incontestables pour la survie mentale et la culture de l'intelligence, ne peut ni ne fait rien.
"Lire, c'est pour les vieux" m'a dit un jour une voisine d'une trentaine d'année avec qui j'avais quelques mots.
Voilà : lire, le livre, et dans la foulée même de ce qu'il véhicule, parler, c'est à dire être attentif à la nécessité de chérir son patrimoine langagier parce qu'on n'a pas grand chose d'autre pour se dire si on ne veut pas être condamné à n'être que des réciteurs de fables écrites par d'autres, l'absorption de sa propre langue pour vivre et pour s'équiper qui excède 500 mots, sont dorénavant catégorisables comme "obsolètes", c'est à dire que la dynamique de l'amnésie et de l'effacement dans l'immédiat réactif émotionnel ont définitivement pris la place du temps de la maturation et de la raison qui la guide.EG



3.24.2025

Assemblée ?

 Assemblée ?

Le spectacle reconduit, saison après saison de cet hémicycle quasiment vide où aboient quelques élus attendant la pause pour se faire un rail, jouant toujours les mêmes rôles, s'opposant toujours par principe partis contre partis, pointant du doigt toujours la Bête immonde sans plus jamais la définir, s'insultant dans des face-à-face joués d'avance où seul le niveau vocal est supposé servir d'argument, amène à être de plus en plus convaincus de l'urgence de SORTIR du système des partis et de la politique comme simple matière d'une carrière des sortants grandes écoles qui ne se nourrit pas d'une expérience dans la vraie vie mais s'appuie sur des catéchèses revisitées à peine qui se gavent de poncifs, de clichés, d'insultes aussi, vieilles et usées comme mes robes.
On a écouté avec consternation deux des nouvelles recrues d'un parti à peine sorti de science po évoquer leur futur engagement politique comme une sorte de sang neuf nécessaire à la vie politique : même discours entendu mille fois sans excroissance, plat, entendu, préformaté, sans goût. 
On peut se demander quelle est l'utilité de ces mugissements destinés à l'auditoire puisque dans ce fonctionnement partisan où chaque décision, chaque vote sont déterminés en amont, uniquement en fonction de l'appartenance idéologique et non objet d'une réflexion personnelle du député, jamais aucun discours, aucune intervention ne pourront persuader qui que ce soit à part ceux qui le sont déjà parce que c'est leur couleur politique et que, même face à une initiative objectivement intelligente et utile, les avis seront émis en s'y opposant par principe si elle émane du clan des "ennemis".
Jeu de manche permanent où les jeux sont faits et n'engage à rien au fond, à rien de politique.
 Ils sont pitoyables, ils sont minables, ils sont lâches, pris dans ce tête à tête qui baigne dans le même jus saumâtre des échéances électorales et dans rien d'autre depuis des décennies, tous coincés dans les fils de la magouille, du coup d'état médiocre joué en coulisse et des primes avantageuses permettant de contribuer au rayonnement des plaisirs de la vie parisienne.
Si elle a nourri des cohortes de baveux, l'épisode de "l'affiche scandaleuse"a le mérite d'être une excellente métonymie de l'état de notre vie politique où faute de pouvoir, savoir, développer des idées, de soulever des questions non pas pour en faire des sujets de polémique mais pour leur tenter des solutions qui puissent être autre chose que des redites à l'infini des dogmes primaires idéologiques, " bon vs méchant" de la définitivement obsolète scission "droite, gauche". 
Il n'est surtout qu'une attaque à des personnes réelles, nommées, rendues visibles, plus qu'au contenu de leurs idées, chose assez incontournable de toute façon, puisqu'elles en sont dépourvues.
Tragique, tragique quand la virulence de ces attaques orchestrées pour les meutes comme on donne du grain à moudre aux passions tristes, pointe du doigt comme si ils étaient le diable en personne des caricatures d' individus plutôt incultes, communs, peu armés intellectuellement mais devenus on ne sait quels "porte-paroles" d'on ne sait qui dans ce jeu où ils sont TOUS enfermés, bouclés dans les dernières vapeurs des centralisations décadentes.
Cet épisode a au moins la vertu de montrer une fois de plus à quel point ce conglomérat politico-culturo-médiatique où tout un chacun a droit au chapitre parce qu'il habite à quelques mètres du studio, cet appareil bien huilé sollicitant des figures plus inconnues les unes que les autres pour "débattre" et ramenant tout ce qui se dit avec une virulence qui a remplacé la pensée et, on ose à peine le mentionner , la maîtrise des sujets dont ils parlent en braillant, tout ça sans que personne ne moufte, limitant depuis si longtemps la vie politique à une discussion de comptoir, s'est arrogé les pleins pouvoirs de la médiocrité et de l'ignorance "au nom" de la liberté d'expression réduite partout à l'énoncé des formes diverses de la propagande. et aux droits d'accès aux conforts de la vie mondaine. EG

3.22.2025

La chasse aux vieux N°5

La chasse aux vieux N°5

On peut faire l'hypothèse que s'est opéré un glissement de l'objet stigmatisé à sacrifier depuis une dizaine d'années. Les propos concernant injurieusement la race ou le sexe sont maintenant soumis à une opprobre qui va jusqu'à légitimer la création de "commissions" de la pensée chargées de redresser tout mauvaise attitude, tout geste déplacé, tout fantasme même et dans la foulée tout second degré, l'adhésivité à la description du "réel" idéologique ne laissant que peu de place au recul nécessaire pour comprendre et surtout apprécier l'humour.
Donc plus d'insultes, plus de généralisations sur des critères naturalistes quels qu'ils soient : handicap, poids, apparence physique, couleur de peau, réalité génétique etc.
On passe sur les appartenances religieuses, elles aussi soumises à une javelisation des préjugés, ou politiques où les régles de l'ostracisme réciproque aménent sans problème certains qualificatifs à se maintenir très stables à travers le temps jusqu'à sembler être les seules évidences rhétoriques restées disponibles.
Mais dans toute crise, ou dans tout système de pouvoir uniquement fondé sur la création de crises, le réflexe de survie, d'entendement, implique la détermination d'un accord sur la cause, le choix de responsables à jeter dans le puits, rôle que les Juifs ont joué abondamment dans l'histoire mais pas qu'eux.
Dans notre époque formidable, tous ces groupes marginalisables et candidats potentiels au sacrifice expiatoire sont tous intégrés à l'unité artificielle que crée la détermination imaginaire d'une entité victimisable que la masse se doit d'intégrer en son sein en la protégeant de toutes les formes du mauvais esprit.
Mais mais...
Si tous ces stigmatisés rédempteurs disparaissent dans le grand texte de l'amour et de la compassion, que faire de ce besoin, vital, de trouver un coupable et une fois trouvé de lui faire la peau au titre d'une étape nécessaire vers la salvation ?
Le lynchage, sous toutes ses formes a surtout des fonctions coalescentes mais si il ne reste personne à lyncher c'est au sein de la fiction de l'unité groupusculaire que ça s'écharpe.
Donc, allons-y, trouvons un nouveau groupe sur des critères naturalistes aisément identifiables qui puisse servir d'exutoire à toute cette haine, cette rancoeur accumulées, ce traitement mentalement insalubre que subit le collectif et accusons-le de tous les péchés du monde, oui, TOUS.
L'égoïsme de toute façon dont cette génération maudite a fait preuve mérite une punition exemplaire, au dépend tout de même de la réalité factuelle et historique mais qui pense encore que la réalité factuelle et historique est une valeur essentielle à prendre en compte ?
Le Vieux, dit, en langue intercontinentale "Boomer", même si il est avant tout votre père ou votre mère, est condamné au pilori parce qu'il n'apparait jamais en tant qu'individu réel, cotoyable, soumis donc à l'extraction de son cas des lourdeurs des généralités vite balancées mais, comme dans tout mal en "isme", en tant que groupe indistinct "en soi" coupable.
A fortiori quand d'une façon sous-jacente et silencieuse parce qu'inconsciente, ces règlements de comptes ( quels comptes on ne saura jamais sauf à dire qu'il est responsable de la dégradation des meorus, de l'explosion de la structure familiale, de la misère du tiers-monde, du réchauffement climatique et du taux d'intérêt des prêts immobiliers) sont mus par le ressort d'une envie mortifère et le constat si terrible qu'à moins de tout renier de ce passé si proche qu'il est encore du présent, et de considérer tout ce qui remonte à plus de trois semaines comme taché d'une obsolescence morale insupportable, ne reste comme moteur de la création pas grand chose dans la broyeuse de l'intelligence collective du néolibéralisme.
C'est donc la tête haute que toute la voix publique occidentale y va de son couplet vieilliste sans aucune retenue ni aucune pudeur, sans aucune maîtrise d'autre chose que de quelques poncifs et surtout sans s'apercevoir que cette stigmatisation est un élément actif de toute la révolution anthropologique orchestrée ailleurs et depuis longtemps avec ses fantasmes de vie éternelle, de criogénisation, d'individu augmenté, de suicide assisté, d'euthanasie des non productifs, de jeunesse comme incarnation du renouvellement incessant de l'acte consumériste et de l'amnésie comme état d'âme.
A ce mouvement, disons que le Vieux lui-même a largement contribué, non par égoïsme mais par pure lâcheté intellectuelle et impuissance morale, coincé dans la notion incroyablement stupide d'un apport possible de produits "anti-âge", la honte du fait même de vivre, dont vieillir est, jusqu'à preuve du contraire, la seule forme possible, et qu'il s'est lui-même coincé dans l'éphémérité du rouleau compresseur de la "tendance" qui, à être suivie, vous rassure sur le fait que vous êtes encore un peu vivant ou visible ce qui veut dire la même chose. Mouvement ou la jeunesse est devenue un qualité en soi sans que quiconque questionne laquelle. EG

3.07.2025

La poufiasse et le technocrate.

07.03.2025
La poufiasse et le technocrate.
Nous sommes encore tributaires, enchaînés, aux deux corps du roi, c'est à dire encore baignés dans nos imaginaires en mal de guidance et de sécurité, dans le mythe d'une entité sachante, de par son statut de nature divine ou son aura représentative démocratique, porteuse, de par cette sorte de grâce qui lui est octroyée des coulisses fumeuses du fantasme, d'une "vision" et d'une capacité à projeter ceux et ce pour quoi elle a été choisie, élue, vers un avenir, en toute connaissance de cause.
Nous sommes incapables de seulement imaginer que là où les "choses" et leurs causes se décident, on ne puisse pas ne parler et ne décider qu'en sachant ce qu'on dit et pourquoi on le dit.
C'est à dire d'une place en-deçà de la gaine du discours sensé rallier les âmes au pouvoir de sa maîtrise, d'une place éclairée, soit par le souffle divin soit par celui du cursus socio-politique des études spécialisées des "élites".
Nous sommes incapables de seulement imaginer que cette entité, plus ou moins poreuse dans sa gouvernance aux émanations de son peuple, plus ou moins craintive quant à la capacité des invisibles à s'enflammer et à vouloir, parfois pouvoir, tout foutre en l'air, est dédiée avant tout à la tâche de nous tenir : obéissants, naïfs, passionnés, amoureux, attentifs, apeurés, fanatisés, épuisés, rentables, c'est à dire complètement coupés de toute maîtrise, de toute volonté de décision sur les divers dossiers, évènements, fonctionnements des institutions, ceci étant uniquement dévolu à ce qu'on nomme "le pouvoir".
L'opposé du pouvoir étant l'impuissance, même si le recours aux urnes est encore présenté comme le ressort de cette démocratie, pire, son essence, laissant de côté toute implication de ce peuple dans les matières et le traitement des questions qui, pourtant, le concernent et le touchent dans sa chair même.
Evidemment parfois la fine toile qui recouvre la réalité des compétences et de la maîtrise de ces dossiers, souvent brûlants, se déchire ici ou là, générant une question absolument embarrassante : savent-ils de quoi ils parlent ?
C'est à dire que, au-delà de ce qui sera catalogué comme mensonge lorsqu'on se prend à regarder derrière cette déchirure, n'est-on pas surtout aux prises avec une sombre incurie, une ignorance vertigineuse du contenu de ces dossiers, des enjeux, du contexte historique, une forme d'illettrisme politique et d'arbitraire décisionnel qui fait que quoi qui puisse être dit, ce n'est justement jamais "en connaissance de cause", mais comme dans le plus épais d'un conditionnement soumis à des poncifs, des clichés, des affabulations, c'est à dire complètement étranger à toute maîtrise mais simplement enveloppé de locutions et de certitudes rhétoriques sans fin.
Autrement dit, ce qui semble de l'ordre du politique, c'est à dire de la capacité décisionnelle éclairée par une forme de sagesse, de recul et d'un surplomb, au moins paritel des enjeux des choix et de leurs conséquences, et donc d'une forme de culture, est réduit à des jeux de langage, tous aliénés aux mêmes stéréotypes, un peu comme dans le cas de certains excellents vendeurs qui seraient capables de vous fourguer n'importe quoi en utilisant les mêmes ressorts, les mêmes stratagèmes sans que la nature ou les qualités de ce qu'ils vous vende ne soient jamais impliquées.
Il suffit pour cela de parler vite, fort, en ayant en soi la fermeté de ses appuis sur son droit au pouvoir et à son exercice, sur des pans de rhétoriques extensibles et adaptables pour pouvoir faire l'impasse sur ce qu'on appelle "le fond".
Personne ne viendra, de toute façon, contester, personne ne viendra questionner la véracité de ce qui est affirmé, puisque c'est de cette enclave du pouvoir-sachant que s'infligent ces discours ; médias, scène politique ostensiblement unifiés dans cette stratégie bien rôdée du fac similé.
Celui qui est actuellement en charge, lorsqu'il s'adresse, de sa place du pouvoir-sachant, à ce peuple bridé, semble "savoir ce qu'il dit", et effectivement il sait ce qu'il dit, mais il ne sait que ça.
Il n'a aucune idée de ce qui gît derrière ce qu'il dit, c'est à dire de ce qu'on nomme "la réalité" et de sa complexité immaîtrisable. L'énormité de l'écart entre cette réalité et ce qu'il en dit amènent évidemment à se demander comment un tel discours, émis avec une telle faconde est possible : une intelligence exceptionnelle du mensonge, de la manipulation machiavélique des foules ?
Ce qui impliquerait qu'il sait qu'il ment et qu'il connait parfaitement les enjeux qu'il cache.
Ou hélas, plus simplement, une ignorance crasse de tout, une incurie cachée bon an mal an par les atours du baratinage ?
Un argument de vente.
Cet individu a été promu sur un costume de scène qui a amené chacun de ses adeptes à le considérer comme une forme d'étoile, aggravant la dépendance des foules à son côté sacré, tout-sachant, tout-puissant, côté qui demeure une demande expresse des masses qui exigent d'être conduites et guidées.
L'esprit de mode ayant une capacité surprenante à l'effacement des mémoires et une incapacité à élaborer du savoir à partir de l'expérience, il peut resaler la soupe encore et encore, tout en ayant pourtant montré tant de fois à quel point il est nul même si il est avenu.
Le temps faisant son oeuvre sur les paillettes, l'usure de ses tactiques montre tout de même à beaucoup un esprit laminé, une pauvreté intellectuelle alarmante et surtout, une sorte de calque de la médiocrité ambiante, qui admet que des animateurs, il faut le dire, lamentables, soient érigés en martyrs de la libre pensée sans pensée, s'emparent de sujets vitaux pour baver et faire baver leur cour et puissent aller jusqu'à s'imaginer être élu à la tête du pays alors qu'ils ne sont que des bonimenteurs de foire.
L'ère de la Poufiasse vibre dans tous nos synapses, avec sa vulgarité et sa bêtise, avec ses limites logiques et ses adulations irrationnelles, avec son goût immodéré pour le trivial et son culte du médiocre, abreuvé aux fontaines des experts et des mirages de la technologie décisionnelle.
Ce type, qui a été élu par cette époque, n'est au fond que le témoin, l'incarnation du manque de rigueur, morale, intellectuelle, du manque d'exigence éducative, du manque de goût pour l'effort et le travail sous-jacents à toute entreprise, a fortiori celle de gouverner une nation.
Il incarne la promotion de l'instant, l'impossibilité à résister à la frustration, il est le parfait artefact de la société du spectacle, qui n'apprend jamais de ses erreurs, trop occupée qu'elle est à se faire dorer l' écran. EG

Décapités nous sommes.